
L'Esplanade

L'Esplanade et ses transformations au fil des siècles
L'Esplanade, vaste terrain libre entre la Citadelle et les anciens remparts, est aménagée en promenade au début du XVIIIe siècle. N'ayant plus d'utilité militaire, cet espace est cédé à la Ville pour en faire un lieu d'agrément pour les Montpelliérains. L'Esplanade est une illustration des embellissements urbains réalisés à Montpellier au XVIIIe siècle.
De « La Roquelaure » à la promenade de l’Esplanade (1723-1729)
Après le siège de 1622, Louis XIII décide de rétablir l'autorité royale sur Montpellier et entreprend la construction de la Citadelle. Son emplacement sur la colline de Montpellieret, face à la ville, permet de la surveiller. Les travaux s'échelonnent de 1624 à 1627. Le Conseil de Ville délibère le 8 janvier 1628 pour édifier deux corps de garde à l'extrémité des murs et faire la jonction avec la Citadelle, de manière à clore l'espace entre la ville et la forteresse militaire. Dès 1629, Richelieu décide d'en faire une sorte de no man's land avec la démolition de l'enceinte urbaine sur ce secteur, mettant la ville en prise directe des canons royaux. Le mur de la Commune Clôture abattu et les anciens fossés comblés laissent place à un vaste terrain en friche, que certains riverains n'hésitent pas à privatiser.

Plan de la ville et citadelle de Montpellier, 1724, détail. Paris, Musée des plans-reliefs, D 44.
Mais en 1723, le duc de Roquelaure, gouverneur de la province de Languedoc, s’indignant du dépotoir laissé sur les lieux (décombres du siège et amas de salpêtre), décide d’y réaliser une promenade longeant les anciens remparts, selon les plans de l'ingénieur Dominique Senès (1723-1729). Les 7 et 9 juillet 1723, le Conseil des 24 délibère l'aménagement d'une esplanade par l’aplanissement des sols et la plantation d’ormes. Et sans attendre la décision du roi, Dominique Senès propose le 15 août 1723 un devis des travaux, réalisés dès le 9 septembre suivant, transformant ce terrain vague en promenade arborée, idéale en lisière de ville, car sa « vue est charmante, puisque d’un côté elle s’étend sur la mer et que de l’autre elle donne sur une montagne. »

Devis de Senès pour la création de l'Esplanade, 15 mars 1725. Archives de Montpellier, DD 97.
Les jardins et maisons n’étant pas sur le même plan, Senès impose leur alignement avec un mur de façade uniforme de 3,30 mètres de hauteur et une balustrade en couronnement, « les uns pour le terrain qu’ils gagneront, les autres pour le plaisir qu’ils trouveront d’être en terrasse sur l’aplanissement, et tous pour l’avantage qu’ils auront d’avoir à leur porte une promenade magnifique ». Pour le Conseil d'Etat, ces travaux doivent être effectués aux frais des riverains, décision provoquant protestations et procès.
Finalement, « Sa majesté désirant que les ouvrages commencés à l’Esplanade soient promptement achevés suivant le plan et devis du sieur Sénès », fit don aux propriétaires des maisons longeant l’Esplanade des terrains inféodés de la Commune Clôture et des anciens fossés supprimés (arrêt du 18 janvier 1724). L’ouverture de ce grand chantier de terrassement dure de nombreuses années et nécessite une forte main d’œuvre et d’importants financements.
« Pour parvenir au fonds nécessaire pour l’aplanissement, plants d’arbres et autres ouvrages convenables à l’embellissement de l’Esplanade de ladite ville », la Ville de Montpellier, à court de finances, décide d’affecter aux travaux le produit d’une taxe sur la viande, « prélevant un denier pour chaque livre de viande tuée, débitée et consommée dans la ville, à compter du 21 octobre 1723 », pendant douze ans.
En décembre 1723, le terrain est aplani et enrichi, puis planté d’ormeaux formant cinq allées où sont installés des bancs de pierre. Le cahier des charges précise que les travaux avaient déjà coûté 56 000 francs en 1725, et qu’il fut nécessaire d’empiéter sur une partie de la demi-lune en avant de la Citadelle, dont la pointe du glacis s’étendait alors jusque vers le milieu de la grande allée. L’Esplanade a alors 500 mètres de longueur, avec une allée centrale de 28 mètres de largeur, et des allées latérales de 14 mètres, soit 84 mètres de largeur en tout. En hommage à son créateur, on décide de l’appeler « la Roquelaure ».

Plan de la Citadelle de Montpellier, 1778, détail. Archives de Montpellier, II 500.
1723-1726 : L’accès par l’escalier du Pila Saint-Gély
Au nord de la promenade, du côté de la porte du Pila Saint-Gély, étant donné la différence de niveau, on envisage la construction d’un mur de soutènement et celle d’un escalier. Le 27 mars 1724, on pose la première pierre. Un complément de financement s’impose et Pierre Nogaret, maître plâtrier, soumet son devis le 5 janvier 1726 pour « enlever les buttes de terre, baisser de trois quart la partie supérieure de la rue des Jésuites afin que la rampe ait une pente égale, construire un mur de soutènement pour soutenir les terres de la rampe et un escalier de 35 marches et deux contreforts, afin de faciliter la communication de l’extrémité nord de l’Esplanade avec le chemin en pente menant à la Porte du Pila Saint-Gély, y ajouter deux pilastres en pierre de taille de Vendargues, jusqu’à la hauteur de la corniche, paver avec des cailloux de premier choix et gazonner les contre-allées après avoir pioché le terrain en profondeur sur deux pieds sur toute la largeur et remplacé la mauvaise terre par de la bonne. »

Plan mur soutènement et de l'escalier de l'Esplanade, 1841. Archives de Montpellier, NC5588.
Construction et destruction des bassins
En 1762, alors que les travaux d’embellissement de la promenade durent depuis 30 ans, on envisage la construction d’« une fontaine qui fera un bien bel effet ». Face au dépérissement des arbres plantés, le conseil de Ville demande le 5 décembre 1767 à l’ingénieur Laurens, d’examiner les possibilités d’acheminer l’eau de la fontaine du Peyrou à la promenade. Le projet, momentanément écarté, est réenvisagé en 1775, date à laquelle un grand bassin octogonal est construit au milieu de l’allée centrale. Cependant, en 1779, il est comblé pour des raisons d’insalubrité et d’incommodité. Il est transformé en un carré de gazon .

Plan nouveau de l'Esplanade par Donnat, 1777, détail du bassin central. Archives de Montpellier, II 762.
La même année 1779, on confie aux architectes de la Ville, Jean-Antoine Giral et Jacques Donnat, le soin d’étudier le prolongement de la canalisation de la fontaine de l’Hôtel de Ville plus proche que celle du Peyrou, jusqu’à la Porte de Lattes et l’Esplanade. La pente du terrain étant favorable, on utilisera finalement les eaux versantes de la fontaine de l'Intendance (Place Chabaneau). Les conduites souterraines sont amenées par la rue Montpelliéret et l’on construit un réservoir d’eau alimentant deux nouveaux bassins sur le point haut de l'Esplanade.
Ces deux bassins d'agrément sont aménagés aux extrémités nord et sud de l’allée centrale, avec des jets d’eau d’une grande portée, facilitant à la fois, la circulation des promeneurs et l’arrosage des arbres.

Plan de l'Esplanade avec le projet de deux bassins à l'extrémité, 10 juin 1779. Archives de Montpellier, II 764.
Mais dès 1780, à la suite à de nombreux incidents troublant l’ordre public (chutes accidentelles des passants, baignades en tenue d'Adam, lessives, récupération des eaux versantes…), on envisage déjà la suppression des deux bassins en Conseil municipal. L’ordonnance du bureau de police du 20 mai 1780 relate les faits :
« Depuis qu’on a donné l’eau aux bassins qui sont aux deux extrémités de cette promenade, les personnes de tout sexe ne craignent pas de s’y baigner nues. On offre à la vue du public une indécence opposée à la pudeur, aux bonnes mœurs, on donne lieu à des propos honteux, à des conversations indécentes, entre ceux qui s’y baignent, et ceux qui sont attirés aux bassins, par le spectacle que donnent les premiers. »

Ordonnance du 20 mai 1780 interdisant la baignade. Archives de Montpellier, DD 97.
Les deux bassins de l’Esplanade, toujours en place au XIXe siècle, sont restaurés par Jacques Donnat en 1808 et on envisage à nouveau de les supprimer en 1839. Leur couronnement est reconstruit en 1873. En 1896, à l’occasion de l’Exposition nationale de Montpellier, le bassin du nord est comblé, et celui du sud est supprimé en 1898.

Le bassin sud de l'Esplanade avant sa destruction en 1898, carte postale. Archives de Montpellier, II 535.
Presque cent ans plus tard, en 1988, le maire Georges Frêche entreprend de reconstruire les deux bassins à l’identique, ornés de pelouses fleuries, un à l'entrée du côté de la place de la Comédie et l'autre au centre, au-devant du Corum. Finalement, les deux bassins ont été remplacés par de nouvelles fontaines plus modernes, inaugurées le 21 juin 2024 : 133 jets d'eau au sol, projetant de l'eau jusqu'à trois mètres de haut et illuminées la nuit de différentes couleurs.
Des ormes aux platanes : choix des essences et entretien des allées
Dès le XVIIIe et tout au long du XIXe siècle, les plantations de l’Esplanade préoccupent les autorités qui font appel à de nombreux professionnels de toute la France, pour le choix des essences et le soin des arbres.
L’état des terrains en friche et la mauvaise qualité de la terre nécessitent tout d’abord, une forte main-d’œuvre et l’apport de nouvelle terre. Pour y parvenir, des jardiniers sont employés pour la labourer, nourrir et l’irriguer. En décembre 1723, l'Intendant du Languedoc, Louis-Basile de Bernage (1691-1767), commande 300 ormes provenant de Lyon et signe des baux de 5 ans aux jardiniers pour l’entretien des allées.

Lettre de commande de 300 ormes à Lyon. Archives de Montpellier, DD 97.
Parmi eux, Philibert Foulquier, adjudicataire en 1724 et qui voit son bail reconduit en 1729, précise dans son Mémoire : « s’engager à remplacer 70 arbres de chaque espèce manquant, et qu’il fournira le fumier nécessaire (...) Que les arbres plantés en avril jusqu’à septembre seront arrosés tous les 15 jours » et que « le choix des arbres va pour des tilleuls, ormes, sycomores, chênes blancs ».
Outre les problèmes de terrain défavorable, les dégradations des charrettes et des passants empêchent la pousse des jeunes arbres. Pour y remédier, plusieurs mesures sont prises, comme l’ordonnance du 18 mai 1731, interdisant la dégradation des arbres de l’Esplanade, sous peine de 100 livres d’amende, et ordonnant aux propriétaires riverains détenteurs de puits d’eau de fournir à tour de rôle l’eau pour arroser les arbres.

Requête des consuls et ordonnance de l'intendant de Languedoc relative à l'entretien des arbres de l'Esplanade. Archives de Montpellier, DD 97.
En 1757, on interdit aux marbriers d'y travailler sous peine d’amende, leurs outils et matériaux laissés sur place, causant vandalismes et dégradations.
Le 22 août 1775, on envisage de remplacer les arbres morts de l’Esplanade par de nouvelles essences. Après avoir choisi les tilleuls de Hollande, on opte finalement pour des marronniers. Mais en 1779, les arbres morts sont arrachés et un choix d’essences plus résistantes s’impose. Pour une meilleure aération et pousse des arbres, on adopte également en 1779 une plantation en quinconce.
En 1780, c’est la circulation des voitures qui est proscrite par les autorités. « Nous apprenons de toutes parts, qu’on dégrade la promenade, appelée Esplanade, que la Ville vient de réparer à grands frais, tout comme les arbres dont elle a été embellie, et qu’il s’y commet des désordres et des scandales aussi nuisibles au bon ordre, à la tranquillité publique, qu’à ceux qui s’y donnent lieu. »
Finalement, on décide le 24 février 1781 de construire une banquette côté du chemin, afin de protéger les arbres contre les chocs des charrettes. La promenade est régulièrement endommagée par les intempéries, et les Montpelliérains s’en plaignent. Pour la garder en état et prévenir ces dégâts, on réhausse la banquette en 1827.
Au XIXe siècle, la question du dépérissement des arbres n'est pas réglée. Le 8 février 1839, des mesures sont à nouveau prises par délibération.
Puis en 1846, de grands travaux de réaménagement sont lancés pour réparer la promenade endommagée par les intempéries (travaux d’engravement) et faciliter la pousse des arbres trop rapprochés. On adopte une nouvelle division des allées, en réunissant les deux allées latérales en une seule, l’ensemble constituant trois allées au lieu de cinq : la grande allée du milieu large de 30 mètres et les 2 autres de 26 mètres avec 1 mètre aux extrémités en dehors, permettant aux promeneurs de mieux circuler et d'apporter plus d’espace aux arbres. C'est à partir de ces travaux qu'on décide en 1848 de planter des des platanes, plus résistants aux maladies, pour remplacer les espèces mal adaptées au terrain.

L'Esplanade et ses allées de platanes en 1895. Archives de Montpellier, 15 Fi 7.
Pour un meilleur arrosage des arbres et à la suite de l’approbation du Préfet le 28 décembre 1846, l’installation d’un aqueduc souterrain permettant une irrigation plus rationnelle est acté et c’est Jean Cassan, l’architecte de la Ville, qui supervise les travaux et signe son avant-métré en 1851. Entre temps, en février 1847, on effectue le remplacement du parapet bordant le nord de l’Esplanade par une balustrade en pierre de taille.
Enfin, le 5 mai 1874, la Ville nomme d'éminents botanistes Montpelliérains, Jules Planchon, Jules Lichtenstein, Charles Martins, Léon Cauvy et Gaston Bazille, à une commission, « pour rechercher les causes du dépérissement des arbres et endiguer les moyens propres à y remédier ».

L'Esplanade au XIXe siècle
L'appellation de Roquelaure est vite remplacée par celle de « Promenade de l’Esplanade ». Ainsi l’Indicateur des rues de 1838 mentionne la Promenade de l’Esplanade, et la rue qui la longe, rue de l’Esplanade ou Chemin de Nîmes, celui-ci prenant le nom de boulevard de l’Esplanade , dans l’indicateur des rues de 1853.
Plan d'alignement de l'Esplanade, dit Atlas des jardins, 1825. Archives de Montpellier, 1Fi10.
A l'emplacement de l'actuel Office de tourisme, s'élevait un élégant pavillon hexagonal où l'on pouvait prendre un café ou déguster glaces et sorbets dans un jardin ombragé. On l'aperçoit sur quelques clichés de l'époque.

La statue d'Edouard Adam par Dubray installée en 1860 à l'extrémité de la place de la Comédie et le café de l'Esplanade à l'arrière plan, plaque de verre (c. 1860-1877). Archives de Montpellier, 37Fi15.
Soumise au Code municipal de 1836, un gardien en costume de sergent de ville veille à la conservation de la promenade et à ce que personne ne dégrade les lieux ou ne prenne l’eau des fontaines. Il est aussi chargé de s’assurer que les troupes de garnison ne fassent leurs exercices ailleurs que sur le Champ de Mars ou sur les deux allées qui en sont les plus proches. Afin d’améliorer la sécurité, un nouvel éclairage est réclamé par l’armée et les Montpelliérains. L’éclairage à l’huile est substitué par le gaz le 27 juin 1874, lui-même remplacé par des candélabres électriques à incandescence dans les années 1920.
Un enjeu de territoire entre civils et militaires
L’Esplanade terrain d’entrainement militaire
La création de la promenade, empiétant sur les terrains de la Citadelle, occasionne de nombreuses tensions entre la Ville et les militaires. Non contente de devoir changer ses habitudes d’entrainement, l’armée retarde et perturbe le bon déroulement des travaux. Les autorités sont souvent contraintes de se consulter et de négocier pour les réaménagements, droits de passage ou l’occupation des sols, notamment lors des foires et expositions. Dès 1723, l’armée conteste la propriété de la promenade à la Ville de Montpellier.

Revue sur l'Esplanade par le général Faurie, c. 1900. Archives de Montpellier, 6 Fi 1505.
Un site « explosif »
Un mémoire datant de 1762, donne le ton sur les différends entre la Ville et le Génie militaire, tandis qu'on aurait procédé à des essais de poudre sur la promenade de l’Esplanade :
« Alors que la promenade d’agrément est achevée et qu’elle est rentrée dans les mœurs des Montpelliérains qui en apprécient la douceur, le ministre de la guerre a ordonné de faire construire un piédestal pour faire des essais de poudre, ce qui tend à rendre inutile et à faire détester une promenade qui est aussi nécessaire dans une grande ville comme Montpellier ».
Les consuls avertissent que l’emplacement du piédestal causerait « une irrégularité choquante dans l’allée principale de l’Esplanade (…) dans un lieu où toutes honnêtes gens de la ville se rendent journellement, surtout que cette promenade « est la seule qu’il y ait à Montpellier ».
Les essais effectués antérieurement avaient déjà causé des dommages aux arbres et aux bancs. Les consuls veulent alors empêcher la réalisation de ce projet nuisible se plaignant qu’il ne soit pas prévu hors de la ville.
Un siècle de contestation de propriété
De 1723 à 1868, le Génie militaire conteste la propriété de l’Esplanade à la Ville de Montpellier. Après des années de litige, la Ville parvient à démontrer sa légitimité. S’appuyant sur les enquêtes et archives, le rapport Claparède de février 1846 retrace l’histoire du site et prouve que les travaux ont été faits aux frais de la Ville. En 1868, le Traité signé par la Ville et le ministère de la Guerre met fin à la prétention de l’armée.

Extrait des délibérations du Conseil municipal du 18 mai 1835 approuvant la propriété de l'Esplanade à la Ville. Archives de Montpellier, série O NC.
En complément, vingt ans plus tard, le 9 mai 1887, la Ville parvient à négocier avec l’armée, l’échange du Champ de Mars, pour en faire un jardin public, contre un nouveau champ de manœuvre militaire avenue de Toulouse (actuel Parc Montcalm). Le Champ de Mars est ainsi acquis par la Ville le 23 décembre 1887.
L'aménagement du Champ de Mars en jardin public
Une création du paysagiste Edouard André
A la suite du désastre de 1896 (voir citra), le 22 janvier 1897, le maire Alexandre Laissac présente au Conseil municipal le projet de transformer le Champ de Mars bordant l’Esplanade en Jardin public, et de soumettre son aménagement à l’architecte paysagiste Edouard André (1840-1911), à qui l'on doit le jardin des Buttes-Chaumont à Paris. Le projet est approuvé le 8 novembre 1897, et les travaux durent de 1898 à 1900.

Lettre d'Edouard André au maire Michel Vernière pour inspecter les travaux de l'Esplanade, 15 avril 1899. Archives de Montpellier, 2 O 7.
"Les travaux ont été exécutés dans des conditions assez défavorables à l'entreprise : la lenteur avec laquelle ont été obtenues les autorisations concernant le chemin du Génie, l'affluence du public sur le chantier, la sécheresse et les grands vents qui sont survenus après les plantations", sont autant de causes qui ont compliquées la création du Parc.

Le jardin du Champ de Mars en cours d'aménagement. A l'arrière plan, la caserne du Génie et un bataillon de soldats. Photograhie, c. 1898. Archives de Montpellier, Sans cote.
Le maire Michel Vernière l’inaugure le samedi 28 avril 1900, et le jardin ouvert dès le lendemain au public. "C’est un jardin à l’anglaise avec un plan d’eau, peuplé d’une trentaine d’espèces : cèdres de l’Atlas, ginkgos, liquidambars, magnolias, plaqueminiers, tulipiers de Virginie…"

Plan du jardin du Champ de Mars, 1897. Archives de Montpellier, 2 O 7.
Création du parc public du Champ de Mars, plan signé Edouard André, juin 1899. Archives de Montpellier, 7 Fi 1.
Un "Pavillon populaire" est construit sur le Champ de Mars en 1891 pour héberger l’Association générale des étudiants de Montpellier, tandis que l'Armée s'est réservée la partie basse pour le Cercle ou Mess des Officiers. Après avoir hébergé quelques années l'orchestre de Montpellier puis à partir de 1992 le pavillon d'exposition du Musée Fabre, le Pavillon populaire devient dans les années 2000 un lieu dédié à la photographie.
Le Champ de Mars fait l'objet d'autres transformations, notamment en 1985, lors de la construction du Corum avec le déplacement du monument aux Morts.
L'Esplanade et le Champ de Mars vers 1900
Découvrez l'Esplanade el le Champ de Mars à la Belle Epoque à travers la collections de cartes postales anciennes des Archives de Montpellier (série 6 Fi)
Un haut-lieu de Montpellier
Du lieu d'exécution à la promenade
L’échafaud est dressé sur l’Esplanade, dans un espace sous juridiction militaire dès la fin du XVIIe siècle. Une stèle commémorative pour les 35 pasteurs et prédicants exécutés sur l’Esplanade, au pied de la Citadelle, entre 1690 et 1754, a été posée à l’endroit où selon la tradition se trouvait l’échafaud. Parmi eux, le pasteur et frère de Marie Durand (célèbre prisonnière de la tour de Constance, à Aigues-Mortes), Pierre Durand, fut pendu le 22 avril 1732. Claude Brousson (1647-1698), avocat, lui aussi pasteur, est « condamné à être rompu vif pour rébellion, écrits et libellés séditieux et assemblées illicites », le 4 novembre 1698. Sa tête avait été mise à prix 5000 livres par l’intendant Basville. La foules est considérable pour y voir le spectacle.
Lieu de vie et de divertissements
Rendue à la vie civile, l'Esplanade devient un lieu de commerce, de rencontres et de divertissements. Elle est, avec le Jardin du Peyrou, un lieu de vie où l’on vient se rafraîchir et se divertir, grâce aux nombreuses attractions qui s’y donnent (foires, concours, expositions, carnavals, feux d'artifices, lâcher de ballons…). De 1883 à 1889, c'est là où on érige le théâtre provisoire, en attendant la reconstruction du théâtre municipal incendié en 1881. Elle est aussi utilisée de façon officielle dans le cadre de festivités commémoratives et nationales.

Affiche pour la fête nationale du 14 juillet 1914 sur l'Esplanade. Archives de Montpellier, 12 Fi 2.
VIe centenaire de l'Université de médecine , 21 au 26 mai 1890
En l'honneur du Président de la République Sadi Carnot, qui préside aux cérémonies du VIe centenaire de l'Université en 1890, tous les édifices communaux et l’Esplanade sont illuminés. Un banquet et un grand feu d'artifice sont donnés sur le Champ de Mars, suivis d’un bal populaire. Un grand portique est surmonté du char de la liberté trainé par deux lions. Au-dessus les inscriptions : « France » et « Vive la République française ! ». Plus bas : « Université de Montpellier » entre les deux dates 1290-1890 et au sommet final, 2500 fusées lancent vers le ciel une magnifique gerbe d’étincelles multicolores.

Devis du feu d'artifice du VIe centenaire, 1890. Archives de Montpellier, I non coté.
Pendant toute la durée des festivités, une exposition des Beaux-Arts de la Société artistique de l’Hérault est installée sur l’Esplanade. Le dimanche 25 mai, après la magnifique parade du Cortège historique du XVIe siècle, en l’honneur Rabelais et Rondelet, composé de 520 personnes et de 230 chevaux, une soirée de gala au théâtre est offerte par la Ville avec l'énonciation de l’Ode à l’Université de Montpellier écrite par le poète Henri de Bornier pour l’occasion et la représentation de l’opéra Patrie de Victorien Sardou, mis en musique par le Montpelliérain Emile Paladilhe.
Lieu de rassemblement politique : La crise viticole et la manifestation du 9 juin 1907
Le 9 juin 1907, Montpellier, ville d’environ 75 000 habitants, est le théâtre d’un rassemblement sans précédent. Plus de 500 000 vignerons venus des départements de l’Hérault, de l’Aude, du Gard et de la Lozère défilent dans la ville. Les manifestants réclament des mesures contre la fraude du vin, et annoncent la grève de l’impôt avec la démission des municipalités qui les soutiennent. L’ampleur de cette manifestation est le reflet de la crise viticole qui touche le Languedoc. Le leader de la contestation, Marcellin Albert, harangue la foule immense sur l'Esplanade.

Marcellin Albert se frayant un passage dans la foule, carte postale. Archives de Montpellier, 6 Fi 2360.

La manifestation viticole du 9 juin 1907, l'Esplanade noire de monde, carte postale. Archives de Montpellier, 6 Fi 57.
Bien des années plus tard, alors qu'une nouvelle crise frappe la viticulture méridionale, les maires du département de l'Hérault occupent le Pavillon populaire sur l'Esplanade dans la nuit du 2 février 1971, et le déclarent "mairie du département".
Les Foires et expositions
Aux lundis de Quasimodo (après Pâques) et à la Toussaint (2 novembre), ont lieu les traditionnelles foires qui durent un mois sur l’Esplanade et le Champ de Mars. Y sont organisés des concours régionaux agricoles, hippiques, et diverses expositions canines où les Montpelliérains et Héraultais présentent leurs joyaux ou explorent les nouvelles prouesses technologiques. S’y ajoutent les grandes expositions internationales ou nationales, comme celle de 1896.

Un foire sur l'Esplanade, plaque de verre (c. 1860-1877). Archives de Montpellier, 37Fi15.

Modèle de baraques de foire pour l'Esplanade, 1841. Archives de Montpellier, M non coté.
Les attractions, spectacles, jeux
Parmi les nombreuses attractions, il y a le cosmographe installé de 1860 à 1900, dans la deuxième allée, au nord de l’Esplanade, grâce auquel on peut observer les étoiles…, les installations de tir, exhibitions sportives ou artistiques, et d’autres plus insolites, comme celles de "La plus grosse tête du monde", les spectacles du Docteur magicien, G. Festa, le Théâtre Lauret avec sa Passion du Christ et la danse serpentine, les cirques Rancy ou de Bouglione avec ses pingouins (1933), le funambule Djelmako (1932), la présentation de chiens et d’oiseaux savants, de pigeons voyageurs, d'une tortue géante, d'une génisse à six pattes… Toute une économie se greffe aux activités du lieu (kiosque à journaux et fleurs, laiterie, location de chaises, balançoires pour les enfants, manèges, vente de rafraîchissements… ).

Affiche pour le Salon Sino-Indo-Japonais en avril 1907. Archives de Montpellier, sans cote.
L’Exposition nationale de 1896
La Ville ouvre le 19 avril 1896 pour six mois l’exposition générale des produits de l’industrie, de l’Agriculture, de l’Enseignement, des Beaux-Arts, ainsi que des Vins et Spiritueux, de l’Electricité et des Sciences sociales.
Elle se tient sur l’Esplanade et le Champ de Mars. Différents pavillons y présentent les dernières prouesses scientifiques et technologiques, notamment en optique, tel le kiosque Cyclorama. Le public y découvre une chambre obscure, les vues des alentours projetées sur des murs tapissés de blanc au moyen d'une lentille éclairée par le haut et d’un disque mobile : « on peut y voir, la gare de Palavas avec sa station de fiacres, ses cochers somnolents, ses chevaux dont le vent agite la crinière, un léger déplacement nous montre le square avec son feuillage frémissant. Un coup de plus, et c’est la place de la Comédie avec son mouvement continuel. Le disque s’abaisse et nous montre la façade du théâtre. »

Affiche de l'Exposition de 1896 pour la compagnie de chemins de fer P.L.M. Archives de Montpellier, 18 Fi 17.
Près du Café Riche, le Kinétoscope de la société Edison est pour la première fois à Montpellier, et offre une représentation de 15 images seconde, laissant le spectateur éberlué, face aux nouvelles images animées… A cette occasion, les frères Lumière sont aussi à Montpellier du 24 avril au 27 juin 1896, pour y présenter la photographie animée, et leurs premiers films L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat de 1895, et des Vues de Montpellier…

Pavillon principal de l'Exposition de 1896. Plan d'A. Tournaire, 1895. Archives de Montpellier, F NC.

Plan d'ensemble des bâtiments de l'Exposition de 1896. Archives de Montpellier, M NC.
Cette exposition bi-annuelle permet à toutes les professions de s’informer et de moderniser leur secteur. Mais le 18 août 1896, un incendie ravage le bâtiment principal, causant de grosses pertes matérielles et trois blessés. Le feu prend à quatre heures du matin consumant le Pavillon central et le Pavillon de l’enseignement qui contenait de remarquables collections, puis endommage l’aile droite du Cercle des étudiants et le Panorama de Reichshoffen, qui brûle dans son intégralité. Illustrant la guerre de 1870, le mémorial de Reichshoffen se présentait sous la forme d'une rotonde panoramique, et comportait à la base de son toit conique, une zone vitrée circulaire éclairant, par en haut, une immense toile peinte déployée à l'intérieur sur 360 degrés, dessin en continu. « L’incendie est un désastre, il en est un surtout pour l’Université, dont les précieuses et rares collections étaient en grande partie momentanément réunies dans le pavillon de l’enseignement (dont la collection de livres rares de M. Roque-Ferrier). »

L'incendie de l'Exposition de 1896, gravure parue dans le Petit Parisien, 30 août 1896. Archives de Montpellier, 6 PER 1/395.
On lit dans l’Eclair de Paris : « L’incendie qui vient de détruire la partie la plus importante de l’exposition de Montpellier, ne sera pas pour encourager les collectionneurs si souvent sollicités à prêter pour une exhibition publique les objets précieux qu’ils ont souvent eu tant de peine à acquérir. » Ou encore dans Le Petit moniteur : « Il ne semble pas qu’à Montpellier, les précautions les plus élémentaires aient été prises. » Une rumeur court sur la destruction des trésors d’archives de la Ville exposés, vite démentie par l’archiviste lui-même dans sa lettre parue le 22 août 1896, dans l’Eclair. Cependant, quelques plans anciens des Archives ont bien brûlé lors de cet incident.
Le Village nègre, de la société d’exhibition ethnologique, 1899
A cette époque coloniale, ont lieu des expositions ethnologiques, à visée pédagogiques, pour le grand public, comme celles de 1899 et 1911, programmées sur l’Esplanade, reconstituant sur une surface de 2000 m², un village de Sénégalais ou un village d’Esquimaux en 1911.


Plan et élévation du "Village nègre" sur l'Esplanade et le Champ de mars, 1899. Archives de Montpellier, I NC.
L'exposition internationale de Montpellier de 1927
1-Porte Monumentale ; 2-Jardins et Pergolas ; 3-Galeries de l'Automobile (Pergola bleue) ; 4-Galeries des Arts Ménagers (Pergola orange) ; 5-Palais des Transports (Façade Sud) ; 6-Le Palais des Transports (Façade Nord) ; 7-Le Plais du Travail ; 8-Le Grand Palais (Façade Principale) ; 9-Le Palais des Colonies ; 10-Le Pavillon Bleu et le Lac ; 11-Pavillon de la Xe Région économique et de la Chambre de Commerce ; 12-Vue générale des jardins.
Le kiosque Bosc
Auguste Bosc (1868-1945)
Compositeur, chef d'orchestre, éditeur musical, Auguste Bosc fut l’une des personnalités les plus importantes en France à la Belle Epoque dans le domaine de la musique populaire. Figure de Montmartre, il dirigea autour de 1900 les orchestres de plusieurs célèbres cabarets parisiens, avant de fonder son propre établissement.

Auguste Bosc. Archives de Montpellier, 6 Fi 891.
Auguste Georges Bosc voit le jour le 23 avril 1868 à Montpellier, rue de la Valfère, dans un milieu de petits artisans et commerçants. Son père, Paulin Bosc, coiffeur, sollicite en 1884 auprès de la Municipalité une bourse pour lui permettre de suivre les cours de violon du Conservatoire national de musique de Paris, avec les recommandations d’Armand Granier, chef de l’orchestre du Théâtre municipal, qui le juge doué des aptitudes à devenir un « excellent artiste ». Débouté une première fois, sa persévérance est récompensée et son fils entre ainsi à seize ans au Conservatoire avec une bourse de 1200 francs par an durant trois ans.
Après de brillantes études, Auguste Bosc entame une carrière parisienne de chef d’orchestre. Il dirige d’abord les ensembles des premiers Salons de l'automobile, de la Galerie des machines et des grands bals et galas de l'Opéra. Puis, il s'oriente vers la musique légère avec succès. Compositeur à la mode, on lui doit notamment La Valse Rose-Mousse et La Marche des Petits Pierrots. Il dirige successivement les orchestres de l'Élysée Montmartre et du Moulin de la Galette, avec lesquels il acquiert une solide réputation de chef. En outre, avec le développement du phonographe après 1900, il enregistre de nombreux disques.
En 1904, il fonde le bal Tabarin, situé rue Victor-Massé, à l’angle de la rue Pigalle, au pied de la butte Montmartre. Ce cabaret d’un nouveau genre, précurseur des dancings et autres music-halls, propose un bal aux musiques débridées, et également une revue à grand spectacle. Le Tout-Paris s’y presse. Après l’incendie du Moulin Rouge en 1915, le Tabarin prend le relais pour le French cancan. Auguste Bosc abandonne la direction de son établissement en 1928. Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1936. Il décède le 6 octobre 1945 à Montpellier et est inhumé au cimetière Saint-Lazare.
La construction d'un kiosque moderniste
Si on a oublié aujourd’hui l’auteur de chansonnettes, son nom reste attaché à Montpellier au kiosque Bosc.
En 1926, désireux de prouver sa reconnaissance à sa ville natale qu’il considérait comme le promoteur de sa réussite, il se propose d’édifier à ses frais un kiosque-théâtre en bordure de l’Esplanade. Le projet est accepté par la Municipalité. Sa réalisation est confiée à l’architecte moderniste Marcel Bernard (1894-1981), alors au début de sa carrière. Par ce choix ambitieux d’un jeune architecte, privilégiant le geste architectural sur la tradition et mettant en valeur un matériau nouveau, le béton, Bosc frappe une fois encore les esprits.

Marcel Bernard, projet de kiosque sur l'Esplanade, estampe rehaussée au fusain. Archives de Montpellier, NC 4836.
En effet, comme l’écrit Jean Nougaret, l’édicule, en béton armé, brut, un des tous premiers de la ville, « rompt délibérément avec la traditionnelle structure métallique en pavillon des kiosques à musique du XIXe siècle ». Avec sa dalle de couverture largement débordante, soutenue par quatre fines colonnes, le kiosque de l’Esplanade ne laisse pas indifférent, suscitant les éloges de la critique.

Le kiosque Bosc achevé avant son inauguration. Archives de Montpellier, 34 Fi 833.
Lors de l’inauguration, le 1er mai 1927, Auguste Bosc dirige lui-même un concert devant « plus de 30 000 personnes » (sic) selon Le Petit méridional. Pour l’anecdote, en 1884, alors qu’il délibérait sur l’attribution de la bourse au Conservatoire en faveur de Bosc, le Conseil municipal discutait déjà d’un projet de kiosque-abri pour la musique sur l’Esplanade, projet abandonné à l’époque et remplacé par celui d’une estrade mobile. Plus de 40 ans après, Auguste Bosc, par sa générosité, répondait avec la construction de ce kiosque à l’attente culturelle des Montpelliérains.



Les travaux du kiosque et une fontaine latérale dans son état d'origine. Photographies, fonds Marcel Bernard. Archives de Montpellier, 34 Fi 833.
Un espace de commémoration
L'édification du monument aux morts
La construction d'un monument aux morts de la grande guerre est voté par délibération du 18 novembre 1918. Le comité choisit l'architecte montpelliérain Jacques-Léon Février. On décide de son emplacement sur le point haut du Champ de Mars en décembre 1921. Les travaux sont lancés. Sa construction est achevée en mai 1923.

Le Monument aux Morts, carte postale. Archives de Montpellier, 6 Fi 895.
Il est déplacé à son emplacement actuel à la suite de la construction du CORUM en 1988.

Le monument à Auguste Comte avec le Monument aux Morts à l'arrière plan, carte postale. Archives de Montpellier, 6 Fi 510.
L'hommage au chef de la France libre
Par délibération du conseil municipal du 16 juin 1979, l’esplanade prend le nom d’« Esplanade Charles de Gaulle – 18 juin 1940 » en l'honneur de l'appel radiophonique de Londres à entrer en résistance. L’inauguration a lieu deux jours plus tard, à la date anniversaire de l’appel, en présence du Maire Georges Frêche.

Dévoilement de la plaque Esplanade Charles-de-Gaulle, 18 juin 1979. Archives de Montpellier, R409.
Pour mémoire, le Général de Gaulle, alors Président de la République, a fait étape à Montpellier le 28 février 1960 à l’occasion d’un voyage officiel dans le Midi. Il est reçu à l’Hôtel de Ville par le Maire, François Delmas, il signe à cette occasion le livre d’or de la ville.