Eté 1944
A l’occasion des commémorations des 80 ans de la Libération, les Archives de Montpellier proposent une évocation des événements qui ont marqué l’été 1944, depuis les bombardements qui ont rudement frappé le sud de la ville le 5 juillet jusqu’au défilé de l’armée française de libération commandée par le général de Lattre de Tassigny dans les rues de Montpellier le 2 septembre.
Après quatre années de guerre, le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie marque un tournant. L’occupant allemand est débordé au nord, et bientôt au sud par le débarquement en Provence le 15 août, tandis qu’il est harcelé de l’intérieur par la Résistance qui intensifie ses actions, soutenue par la pression des bombardements anglo-américains. Pour la première fois, la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie semble inéluctable. En quelques semaines, une grande partie du territoire français est libérée.
En cet été 1944, Montpellier suffoque, non pas tant à cause de la chaleur que des trop longues restrictions alimentaires qui accablent la population. L’insuffisance de diversification des cultures dans la plaine viticole affecte durement l’approvisionnement de la ville, malgré les tentatives de création de coopérative de cultures vivrières à Lattes et à Gignac. Montpellier manque de lait, de viande, de matières grasses, d’œufs et de pain, sans compter les pénuries d’essence, de pneus, de vêtements ou de chaussures. Les queues s’allongent devant les magasins ; au Pavillon Populaire, les Services municipaux du ravitaillement distribuent les titres d’alimentation.
Ces difficultés sont accentuées par la surpopulation en ville. On estime que Montpellier passe de 90 000 à 104 000 habitants au début de la guerre. Au flot des réfugiés de 1940 venus du Nord de la France, d’Alsace-Lorraine, de Belgique et du Luxembourg, s’ajoute entre l’automne 1942 et l’hiver 1943 le poids de la présence allemande. Cette occupation militaire implique en premier lieu la réquisition de nombreux logements (hôtels, clinique mutualiste Beau Soleil de la route de Lodève nouvellement bâtie, villas) pour héberger officiers, soldats ainsi que les bureaux de la Kommandantur (à l’hôtel de Guidais) ou de la Gestapo (à la tristement célèbre villa des Rosiers).
Face à cette situation ingérable, les autorités municipales n’ont qu’une faible marge de manœuvre. Elles s’attellent surtout à protéger la population en cas de bombardements en organisant les services de « défense passive », structurés sous la houlette de Jean Guizonnier, directeur urbain, et de Marcel Bernard, chef des services travaux et abris. Elles font aménager les caves afin de constituer des refuges, nettoyer les puits et creuser des tranchées couvertes sur les terrains de sport. On désigne des « chefs d’îlot » pour constituer des équipes responsables de la sécurité au niveau de chaque secteur de la ville, notamment pour faire respecter le couvre-feu et le camouflage des lumières. Les départs vers les campagnes environnantes sont fortement encouragés. On voit régulièrement des familles quitter Montpellier chargées de matelas, de couvertures et de grandes valises.
En effet, depuis l’été 1943, les alertes sont de plus en plus fréquentes dans le département de l’Hérault jusqu’à devenir quotidiennes au printemps 1944. Les premiers bombardements alliés en 1944 visent l’aéroport de Fréjorgues, mais touchent le territoire montpelliérain. Le bombardement du 27 janvier 1944 fait trois victimes civiles, tandis que celui du 27 mai 1944 entraine une dizaine de morts et une trentaine de blessés au sud-est de la commune. Mais c’est le bombardement de Sète, Frontignan et Balaruc le 25 juin 1944 qui fait véritablement prendre conscience du danger à la population.
Lettre du maire de Montpellier au chef d’Etat-Major de la Wehrmacht, 26 février 1943. Archives de Montpellier, NC 6578.
Plan de Montpellier en 1945. Archives de Montpellier, 2 Fi 506
Charly Samson, un Montpelliérain témoin de la Libération
A l’été 1944, Charly Samson a 16 ans. Il réside avec sa famille boulevard Pasteur, près du collège Legouvé (actuel collège Clémence-Royer). Il vient d’obtenir son brevet. Il est engagé en juin à la Chambre de commerce au sein du service de la caisse de compensation en qualité de mécanographe et traverse la ville tous les jours pour rejoindre son travail dans la Grand-rue. Il vit dans une certaine forme d’insouciance, écrit des chansons pour le bal musette et des poèmes, se produit sur scène et tient un petit carnet dans lequel il consigne les événements importants dont il est le témoin.
Au jour le jour, parfois heure par heure, Charly Samson note avec un sens de l’observation minutieux tout ce qu’il voit ou entend lors des journées de la libération de Montpellier. Son carnet de l’année 1944 est aujourd’hui une source essentielle pour ressentir la « vie mouvementée » des Montpelliérains. Les différentes séquences de l’exposition seront ponctuées d’extraits de ce document exceptionnel :
Avec l’été, le mois de juin a ravivé la guerre sur le sol de France. Tout le monde a hâte que tout soit terminé. La vie devient de plus en plus pénible, autant moralement que physiquement. A Montpellier, les alertes se font de plus en plus fréquentes. Cependant, depuis les bombardements de Sète et de Frontignan, les gens sont beaucoup plus prudents.
Portrait de Charly Samson en couverture d’une partition d’une de ses chansons. Archives de Montpellier, 48 S 4
Le bombardement du 5 juillet 1944
Le 5 juillet 1944, l’armée de l’air américaine (Fifteenth US Air Force) décide de détruire 5 ponts ferroviaires et 5 gares de triage entre la frontière espagnole et Montpellier, afin de stopper le mouvement de deux divisions de l’armée allemande sur le point d’être transférées sur le front de l’ouest (bataille de Normandie). L’offensive aérienne vise Montpellier, Béziers, Narbonne, Rivesaltes, Carcassonne, ainsi que le port de Toulon. A Montpellier, l’objectif est de bombarder la gare d’Arènes au sud de la ville, où se trouvent stationnés sur les voies deux trains militaires allemands transportant soldats, munitions et essence.
La gare de triage d’Arènes a été aménagée et agrandie dans les années 1920 sur les terres du domaine des Prés d’Arènes, au point de convergence de trois voies ferrées : la ligne Sète-Tarascon (ancien réseau de la Compagnie du PLM), la ligne Montpellier-Bédarieux (ancien réseau de la Compagnie du Midi) et le raccordement vers la ligne Montpellier-Palavas (ancien réseau de la Compagnie de l’Hérault). Elle possède un dépôt de locomotives construit en demi-rotonde. Elle sert surtout de gare de marchandises, pour délester la gare du centre du trafic de fret.
Plan de Montpellier (Ouest), détail. Dans le cercle rouge, la zone visée par le bombardement. En marron, la ligne des boulevards Berthelot, Vieussens et Rabelais, limite nord du bombardement. Archives de Montpellier, 2 Fi 503
L’alerte est donnée à 12h40. On signale des appareils volant en direction de Montpellier.
A 13h08, un avion largue des papiers argentés, afin de brouiller les radars, puis marque l’objectif par un cercle de fumée.
A 13h40, les premières bombes sont lancées sur la gare d’Arènes. L’attaque a lieu en trois vagues d’avions mobilisant une soixantaine d’appareils venant du sud-ouest. La première vague cadre bien l’objectif, mais le cercle de fumée se déplace, poussé par un petit vent. Cela trompe les deux autres vagues dont les bombes tombent plus au nord, Cité Mion, jusqu’au boulevard Rabelais et l’avenue de Palavas. Le manque de précision est imputable également au vol en haute altitude des avions américains.
Vers 14h00, l’attaque est terminée.
A 14h15, l’alerte-menace est levée.
Bombardement américain du 5 juillet 1944, plan indiquant l’axe de vol, l’objectif et les points visés (trains allemands stationnés). Archives américaines de l’US Air Force.
Le bombardement minute par minute
Extrait du journal de l'alerte-menace du 5 juillet 1944.
Service de la Défense passive. Archives de Montpellier, NC 6970
Bombardement du 5 juillet 1944, plan de la répartition des points de chute dressé par le service des Travaux publics de la Ville le 8 juillet 1944. Archives de Montpellier, NC 6970
Le bombardement laisse un paysage lunaire. 975 bombes ont été larguées dont 230 sont tombées sur la gare d’Arènes. L’objectif est atteint. Les lignes de chemin de fer sont coupées, les voies de triage sont détruites. L’explosion d’un train de munitions à proximité d’un train de soldats allemands provoque la mort de plus d’une centaine d’entre eux. C’est un carnage. Au dépôt des locomotives de la gare d’Arènes, une bombe est tombée sur la rotonde : elle s’est écroulée en partie, endommageant trois ou quatre locomotives. De nombreuses rames de wagons sont atteintes ou détruites.
Le dépôt de locomotives d’Arènes avant et après le bombardement. Archives de Montpellier, NC 5734
Mais plus encore, c’est le bilan des victimes civiles qui est dramatique, malgré la faible densité de population. Les habitants de ce quartier périurbain s’étaient réfugiés dans les abris, principalement des tranchées creusées par les services de la Ville. Certains furent ensevelis sous des monticules de terre, d’autres sous les décombres des immeubles effondrés.
On relève 53 morts dont 29 femmes et 5 enfants (au total 57 victimes si on ajoute les personnes décédées des suites du bombardement) et 87 blessés parmi les civils.
Les dégâts matériels sont importants : 64 immeubles détruits, 35 immeubles partiellement détruits, 338 immeubles endommagés.
Les rues les plus touchées sont le boulevard Berthelot, le chemin de Maurin, le chemin de l’Herbette (7 morts dans la tranchée du restaurant Parisien tenu par la famille Bancarel), le chemin de la Perruque (2 morts), le boulevard Rabelais (3 morts). Les Ateliers méridionaux sont détruits, ainsi que l’entrepôt des tabacs (4 morts). En revanche, la cave coopérative de Montpellier, située derrière le dépôt de locomotives, est toujours debout.
Destructions au chemin de l'Herbette. Archives de Montpellier, NC 5734
Dommages de guerre
Chemin de Maurin. Pépinière de l'Herbette. Chemin de l'Herbette. Boulevard de la Perruque. Rue Ernest Michel. Boulevard Rabelais. Boulevard Vieussens. Route de Palavas. Cité Mion. Rue Labbé. Cité Maury. Les inscriptions "signé De Gaulle" à la croix de Lorraine visibles sur certains clichés accusent le chef du Gouvernement provisoire de la République française d'être responsable du bombardement. Elles ne sont nullement le fait de la Résistance.
Photographies du service communal de la Voirie. Archives de Montpellier, NC 5734
Journal de Charly Samson
Mercredi 5 juillet 1944
Premier bombardement de Montpellier
L’alerte sonne à 12h45 comme je finis de diner. Nous descendons vite vers les abris. Les avions apparaissent bientôt, très haut et brillant dans le ciel. Ils sont chassés par la D.C.A. qui n’a pas l’air de les gêner. On entend un bombardement dans le lointain, puis tout s’apaise. Soudain des avions apparaissent beaucoup moins haut que les précédents et j’entends tout aussitôt de violentes détonations. Tout le monde se précipite dans l’abri et durant un long moment je n’entends que le bruit des explosions. Le sol tremble, des gens pleurent, d’autres essaient de leur donner du courage. Bientôt de la fumée obscurcit le ciel entièrement. Tout à l’heure, il n’y avait pas un seul nuage, et maintenant on ne voit plus le soleil. Une personne sort de l’abri et tend instinctivement la main pour voir s’il ne pleut pas. De fines cendres tombent comme une poussière impalpable. Anxiété. La ville a été bombardée, mais où ? Petit à petit le ciel s’éclaircit et enfin le soleil réapparait. On entend toujours des explosions : bombes à retardement ? De nombreux bruits circulent quant aux quartiers atteints. D’après le bruit, il nous a semblé que c’était tout à côté de nous ; on dit : la gare, la citadelle, la poste.
L’alerte finit à 14h10. Dans la rue, une agitation fébrile : ambulances, cycliste[s], équipes de la défense passive. J’enfourche mon vélo et je me rends immédiatement aux équipes nationales au Peyrou. J’entends toujours des explosions. J’apprends que c’est la cité Mion, la gare d’Arènes et les quartiers voisins qui ont été bombardés. Je suis affecté agent de liaison avec 4 camarades qui ont un vélo comme moi, et nous partons sur les lieux sinistrés. Attente au Boulevard Rabelais, danger des bombes à retardement. On avance : maisons éventrées, entonnoirs [c.a.d. cratères] pleins d’eau sale, immeuble coupé en deux, roulotte en miette. Dans une maison à demi éboulée, un piano au 2e étage. Le pavé est recouvert de terre et de débris divers : fils, branches, feuilles etc. Le service d’ordre qui arrête la circulation nous laisse passer. Du pont, une locomotive recouverte de terre fume encore ; de tous côtés des entonnoirs et au loin, un train de munitions qui explose continuellement. Nous arrivons à l’ambulance (?) réservée à la Croix-Rouge, j’apprends qu’il y a de nombreuses victimes. Je fais plusieurs liaisons en ville. J’apprends que l’accès au Boulevard où je suis passé tout à l’heure est maintenant interdit car on a décelé la présence de bombes à retardement. On me renvoie à 6 heures.
C’était le 1er bombardement auquel j’assistais ; et surtout, c’était la première fois que je voyais ce triste spectacle de maisons détruites, de malheureux tout à l’heure dans l’aisance et maintenant dépourvus de tout, même de l’indispensable.
Destructions avenue de Palavas. Archives de Montpellier, NC 5734
Alors que le bombardement est toujours en cours, les équipes de la Défense passive se rendent sur les lieux du drame : ambulances de la Croix Rouge pour porter les premiers secours aux sinistrés, camions des sapeurs-pompiers pour déblayer les décombres et éteindre les incendies. Parfois dans des conditions extrêmement périlleuses, au milieu des explosions, elles interviennent pour dégager les blessés et les morts. Le service sanitaire émanant de la Faculté de Médecine s’illustre particulièrement en envoyant des équipes d’urgence constituées de médecins et d’étudiants au plus près du danger. Les blessés français et allemands sont brancardés et dirigés vers les hôpitaux.
Sitôt l’alerte levée, les Montpelliérains se mobilisent à leur tour spontanément pour prêter main forte aux secours. Beaucoup de jeunes gens enrôlés au sein des « équipes nationales », comme Charly Samson et ses amis ou les groupes de scouts, doivent intervenir au milieu des cadavres, entre les cratères et les décombres. Vers 17h, toutes les victimes ont pu être secourues. Ce jour-là, les Montpelliérains ont fait preuve d’un courage, d’une solidarité et d’un dévouement exceptionnels. Les autorités saluent l’attitude exemplaire de la population et expriment publiquement leur reconnaissance.
Déclaration officielle du maire Paul Rimbaud après le bombardement du 5 juillet 1944. Archives de Montpellier, NC 6578
La Résistance à Montpellier : le terrible été 1944
Avec le débarquement des Alliés en Normandie le 6 juin 1944, les forces de la Résistance s’activent pour affaiblir l’occupant allemand. Les sabotages, les coups de main et les pillages redoublent. Cependant, elle doit faire face à une violente répression de la Gestapo (police politique secrète d’Etat des Nazis) et de la Milice (organisation politique et paramilitaire française au service de l’Etat français). A Montpellier, la Résistance perd ses principaux cadres, dont le commandant Jean Guizonnier, torturé dans les geôles de la caserne de Lauwe en août 1944.
La villa des Rosiers, siège de la SIPO-SD
Villa des Rosiers. Carte postale c. 1930. Coll. privée
"Les Rosiers" était une pension de famille bourgeoise, avec un beau jardin, située avenue de Castelnau, en face les Archives départementales de l'Hérault alors hébergées dans l'ancien couvent des Récollets. Au début de l’année 1943, la villa est réquisitionnée avec le Clos Saint-Antonin, situé de l’autre côté de la rue, pour héberger les services de la Sicherheitpolizei (Sipo-S.D.), police de sûreté allemande. Le poste de Montpellier est dirigé par le lieutenant-colonel Hellmut Tanzmann avec 38 hommes sous ses ordres. D’une efficacité redoutable, on leur doit environ 250 arrestations, dont 160 déportations en Allemagne ainsi que de nombreuses exécutions sommaires. C’est à la villa des Rosiers qu’avaient lieu les interrogatoires et qu’ont été commises d’horribles atrocités.
Rapport de police sur les exécutions commises par les Allemands. Lettre du 3 juillet 1944 au chef régional des services de sécurité publique. Archives de Montpellier, NC6578
La caserne de Lauwe, siège de la Milice
La Caserne de Lauwe. Photographie Jean-Claude Richard, 1992. Archives de Montpellier, 6 S 253
La caserne de Lauwe, rue du 81e Régiment d’Infanterie, était à l’origine un séminaire, transformé en caserne, puis devint un hôpital militaire jusqu’en 1943. Le 8 juin 1944, la Milice s’y installe afin de se préparer au combat final contre les « terroristes ». Sous les ordres du chef départemental, le docteur René Hoareau, environ 200 miliciens de l’Hérault et 30 de l’Aveyron s’y regroupent avec leurs familles. L’occupation de la caserne dure jusqu’au 17 août 1944, date à laquelle le chef régional Jacques Pissard donne l’ordre de la retraite à la suite des Allemands. Durant cette période, la caserne de Lauwe devient surtout une prison pour les résistants traqués par la Milice. 94 personnes y sont incarcérées, dont cinq moururent sous la torture ou par exécution sommaire : Henri et Elise Pignol, Germaine Bousquet, Raoul Batany et Jean Guizonnier.
8 août : arrestation de Jean Guizonnier
Placé sous surveillance par l’intendant de police Charles Hornus, le capitaine Jean Guizonnier, commandant le Corps des sapeurs-pompiers, directeur du service municipal des Travaux publics et directeur urbain de la Défense passive, est appréhendé par des miliciens, conduits par un membre de la Délégation régionale des Renseignements généraux, à son bureau à l’Hôtel-de-Ville, place de la Canourgue. Il est emmené à l’Intendance de Police (actuel parc Clemenceau) pour être interrogé. Entre-temps, son domicile, ainsi que ceux de ses collègues Charrier, Mir et Candelou, également arrêtés, sont pillés et saccagés par la Milice. Guizonnier est transféré ensuite à la caserne de Lauwe où il est interrogé et torturé pendant plusieurs jours. Il décède sous les coups de ses bourreaux, sans doute le 13 août 1944, la date exacte de son décès n’étant pas connue. Son corps ne sera retrouvé que le 6 septembre, caché dans la cour de la caserne.
Portrait de Jean Guizonnier, 1944. Archives de Montpellier, 11 S 296
Lettre de Robert Faucherre à Maria Guizonnier annonçant l’arrestation de son mari (Archives de Montpellier, 11 S 10)
Mercredi 9 août 1944
Chère Madame,
L’amitié fraternelle que j’ai pour votre mari me fait un devoir de vous avertir qu’il lui est arrivé un gros ennui hier après votre départ. Vers midi, à son bureau à la Mairie, un inspecteur de la police française est venu le chercher pour être interrogé au sujet d’une affaire le concernant personnellement. Nous pensions qu’il serait libéré aussitôt après, mais voici qu’il doit être gardé quelques jours pour achever l’enquête en cours. Nous avons aussitôt, monsieur le Maire, M. Ricateau et moi, encore fait une démarche auprès de M. le Préfet, qui a bien voulu aller le voir à l’Intendance de police, où il se trouve, avenue G. Clemenceau. Il a eu avec lui une longue conversation sur un sujet que j’ignore, et il m’a promis de faire tout son possible pour que l’enquête soit rapide et qu’il soit libéré. Il m’a assuré qu’il était dans de bonnes conditions matérielles. D’ailleurs le centre d’entraide des prisonniers s’occupe de lui, en lui apportant des vivres complémentaires et ce dont il a besoin de chez lui comme linge et vêtements.
Il ne faut donc pas vous inquiéter, chère Madame. Je suis bien certain qu’il ne tardera pas à sortir de ce secret. Je vous tiendrai au courant. Je crois qu’il est préférable que vous ne reveniez pas à Montpellier. Vous ne pourriez rien faire de plus pour lui et il vaut mieux que vous restiez auprès de votre fille, qui a bien besoin de changer d’air et d’être au calme de la montagne, loin des alertes incessantes que nous avons ici.
Vous savez que tous ses camarades veillent sur lui et que tout a été fait et sera fait pour que cette situation pénible cesse au plus tôt. Je n’ai cependant pas voulu vous la laisser ignorer. C’est pourquoi je m’excuse de vous écrire si vite, en vous renouvelant l’hommage de mon fidèle et respectueux attachement.
Robert Faucherre
Jean Guizonnier, une carrière exemplaire, un héros de la Résistance
Né en Nouvelle-Calédonie, Jean Guizonnier (1899-1944), ingénieur des Travaux publics et officier, s’installe à Montpellier en 1926 à sa nomination comme directeur-adjoint à la voirie de la Ville et chef de Corps-adjoint des sapeurs-pompiers.
Jean Guizonnier sur le chantier de la nouvelle canalisation du Lez en 1934. Archives de Montpellier, 42 S 42, fonds Nancy Ralite
Mobilisé le 20 août 1939 en qualité de capitaine dans le 56e RA de Montagne, il est fait prisonnier le 12 juin 1940 à Saint-Valéry-en-Caux puis transféré en Allemagne dans l’Oflag VA B/8 à Weinsberg (camp pour officiers de l’armée). Il est rapatrié le 20 août 1941 et reprend ses fonctions à la Mairie et à la caserne de pompiers.
Durant la guerre, sa carrière s’accélère. Il devient, en 1942, secrétaire du Comité directeur départemental du Centre d’entraide de l’Hérault des prisonniers de guerre rapatriés et des familles de prisonniers. Le 1er janvier 1943, il succède à Gustave Ferréol comme directeur du service municipal des Travaux Publics et comme chef du Corps des sapeurs-pompiers de Montpellier. Chef du service d’incendie de la Défense passive, il est désigné le 24 janvier 1944 directeur suppléant de la Défense passive, à la suite de l’arrestation de Jean Baumel, secrétaire général de la Mairie, puis le 25 février directeur urbain de la Défense passive de Montpellier (nomination actée le 6 juin par arrêté du préfet régional).
Vue de Montpellier en 1944 depuis le clocher de la cathédrale prise par Jean Guizonnier. Archives de Montpellier, 11 S 3
En raison des opportunités offertes par ses différentes responsabilités, il est sollicité en 1943 par un responsable du Noyautage des Administrations Publiques (N.A.P.), l’ingénieur des Ponts et Chaussées Joseph Lassalvy. Il prend part à la Résistance et devient chef du Mouvement de Libération Nationale (M.L.N.) pour Montpellier et du N.A.P. pour l’Hérault. Il est membre des Forces Françaises de l’Intérieur puis, à partir du 1er mars 1944, membre des Forces Françaises Combattantes, sous le pseudonyme de « Girardin ». Ses fonctions à la voirie et à la défense passive lui servent de couverture et lui permettent d'établir un plan clandestin d’installation d’eau, d’électricité et de gaz en cas de tentative de destruction des réseaux existants par les Allemands. Durant l’été 1944, il joue un rôle actif avec Jean Bène au sein du Comité départemental de Libération pour préparer le rétablissement de la République.
Attestation de Gilbert de Chambrun des activités de Maria et Jean Guizonnier dans la Résistance, 1954. Archives de Montpellier, 11 S 9
Homologation du grade de commandant obtenu dans la Résistance par Jean Guizonnier, 1945. Archives de Montpellier, 11 S 9
Extrait du décret nommant Jean Guizonnier chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume, 1946. Archives de Montpellier, 11 S 9
L’arrestation de Jean Guizonnier provoque l’indignation du Conseil municipal. Au moment de l’évacuation de la Milice, les derniers prisonniers sont libérés de la caserne de Lauwe et la nouvelle de son assassinat dans des circonstances atroces se répand. Dans un ultime acte de courage, le maire Paul Rimbaud et le Conseil municipal engagent une procédure judiciaire pour poursuivre ses assassins et votent à l’unanimité une délibération, le 21 août, pour protester contre cette ignominie. La dernière décision prise par la municipalité vichyste de Montpellier est donc, pour l'honneur, en soutien à ce héros de la Résistance.
Texte de la délibération du Conseil municipal de Montpellier du 21 août 1944. Archives de Montpellier, NC 6578
Après la guerre, un procès se tiendra devant la cour d’assises de Montpellier en février 1946. Plusieurs miliciens seront condamnés. Mme Guizonnier obtiendra réparation pour le pillage de son appartement. Une plaque à son adresse 9 boulevard Rabelais rappelle son souvenir :
Ici vécut Jean Guizonnier
grand patriote, chef départemental de la Résistance et de la Libération,
torturé et assassiné par les Miliciens de la Caserne de Lauwe à Montpellier
Août 1944
Le débarquement de Provence
Le 15 août 1944, les Alliés débarquent en Provence, sur la côte varoise entre Le Lavandou et Saint-Raphaël. L’opération Anvil, rebaptisée Dragoon, a pour objectif de libérer Toulon, Marseille puis de remonter la vallée du Rhône pour faire la jonction avec les forces de l'opération Overlord débarquées en Normandie. Ce débarquement mobilise des unités américaines, mais surtout des troupes françaises, l’armée B, environ 250 000 hommes sous le commandement du général d'armée Jean de Lattre de Tassigny.
Le général de Lattre de Tassigny, derrière lui son fils le lieutenant Bernard de Lattre et un officier à bord du paquebot transport de troupes M.S. Batory lors du débarquement de Provence. Archives de Montpellier, 25 Fi 4
Journal de Charly Samson
Mardi 15 août 1944
En revenant de la Messe vers 7h, j’entends dans le lointain des coups sourds. Plus tard, j’ai su que c’était le bruit du débarquement entre Toulon et Nice. Dans la journée du 15 août, nous avons eu 4 alertes, dont 2 à 8 mn d’intervalle.
Dans l’après-midi, on apprend officiellement la nouvelle du débarquement mais depuis le matin, le bruit courait en ville.
Le général de Lattre de Tassigny
En dépit de la défaite en 1940, Jean de Lattre de Tassigny croit toujours en l’honneur de l’armée française. En 1942, il est nommé commandant de la 16e division militaire à Montpellier et est promu général de corps d’armée. Il s’efforce de restaurer la confiance des soldats en créant l’école de cadres de Carnon. Lorsque les Allemands pénètrent en zone libre le 11 novembre 1942, il refuse de se soumettre et donne l'ordre à ses troupes de résister. Arrêté à Saint-Pons-de-Thomières, il est incarcéré à Toulouse puis au fort Montluc à Lyon et condamné le 9 janvier 1943 à dix ans de prison pour abandon de poste par le Tribunal d'État. Le 2 février, il est transféré à Riom, d'où il s'évade dans la nuit du 2 au 3 septembre, avec l'aide de sa femme et de son fils, Bernard.
De Lattre de Tassigny se rallie alors au général de Gaulle. Il rejoint Londres à la mi-octobre, puis Alger, nouvelle capitale de la France Libre, en décembre. Le général de Gaulle lui confie la formation et le commandement de l'armée B. Victorieuse à l'île d'Elbe en juin 1944, l'armée venue d'Afrique et d'Italie débarque en Provence en août aux côtés des Alliés. En incorporant à son armée nombre d'éléments issus des FFI, de Lattre constitue une armée de près de 400 000 hommes, qui devient à partir de septembre 1944 la 1ère Armée française, composante principale de l'Armée française de la Libération. Elle est dite aussi Rhin et Danube en raison de ses victoires remportées en Allemagne au printemps 1945. Le 8 mai 1945, de Lattre représente la France pour la capitulation du Reich à Berlin.
Le général Jean de Lattre de Tassigny à l’approche des côtes de Provence. Archives de Montpellier, 25 Fi 2
Le bombardement du 17 août 1944
Après le débarquement de Provence, les Alliés doivent empêcher l’armée allemande stationnée en Languedoc de gagner rapidement le nouveau front. L’objectif est de couper tous les ponts routiers et ferroviaires de la région et en particulier sur le Rhône pour retarder au maximum l’avancée des Allemands. Aussi, les Alliés décident de cibler le pont de Pavie, pont ferroviaire stratégique qui enjambe le Lez entre Montpellier et Castelnau. Sa destruction entrainerait l’interruption du trafic de la ligne principale entre l’Hérault et le Gard.
Le pont de Pavie au début du XXe siècle. Archives de Montpellier, 6 Fi 902
L’alerte est donnée à 11h05. L’aviation américaine survole le territoire montpelliérain à 11h25. En quelques minutes, 4 vagues de 6 appareils de type B-26 « Marauder » appartenant au 320th Bomb Group attaquent la ville. Le journal de la Défense passive note la fin du bombardement à 11h27 et la fin de l’alerte à 12h07.
70 bombes sont larguées sur les secteurs du Bois de Montmaur (au Plan des 4 seigneurs), du restaurant Rimbaud et du pont ferroviaire de Pavie sur le Lez. La passerelle militaire de Rimbaud (passerelle du génie) sur le Lez est détruite et la voie ferrée endommagée. Mais le pont de Pavie n’est pas atteint. L’opération est donc un échec. D’autant plus que les quartiers des Aubes et de la Pompignane sont impactés et plusieurs villas détruites rue de la Courte-oreille. On dénombre 5 morts et 10 blessés. Les rapports signalent également la formation d’une vague de boue dans le Lez causant de nombreux dégâts. C’est un nouveau drame pour les Montpelliérains.
Rapport de Marcel Bernard, architecte de la Ville, sur le bombardement du 17 août 1944. Archives de Montpellier, NC 6970
Journal de Charly Samson
Jeudi 17 août 1944
Deuxième bombardement de Montpellier
Les sirènes se font entendre vers 11 heures. Je pars du bureau et selon mon habitude, avant de descendre aux abris, je vais chercher mes affaires chez moi où je monte mon vélo. De la fenêtre je vois les gens qui parlent devant la porte des abris, tout est calme. Je descends à mon aise. Arrivé sur le Boulevard, j’entends soudain les avions. Je presse le pas. De dessus les abris, je distingue nettement les appareils qui ne sont pas très haut. Je cours, je suis à 5 ou 6 mètres de l’entrée des abris quand une série de claquements secs et puissants se fait entendre. C’est le bombardement. Enfin je descends, tout le monde est en effervescence, une dame s’est évanouie, d’autres pleurent, ma mère soigne plusieurs personnes. On voit de la fumée du côté de la caserne de Lauwe et de la route de Nîmes ; on n’entend plus que les avions. Enfin l’alerte se termine vers 12h et on apprend dans l’après-midi que c’est le bois de La Valette et le quartier de la Pompignane qui ont été atteints. Il y a des victimes.
Les Journées de la Libération
Montpellier est officiellement libéré le mercredi 23 août 1944. Cette date marque l’installation « du nouveau pouvoir civil et de la nouvelle Municipalité » à la Préfecture. En réalité, la Libération de Montpellier s’étale sur deux semaines, entre le dimanche 20 août avec le départ des troupes allemandes de Montpellier, et le samedi 2 septembre 1944 avec l’entrée du général de Lattre de Tassigny et de l’armée de Libération dans Montpellier. Ces 14 jours sont scandés par la fin de l’occupation allemande et les derniers combats autour de Montferrier-sur-Lez, l’arrivée progressive des groupes de résistants, maquis F.F.I. et F.T.P. qui convergent depuis l’arrière-pays héraultais, l’Aveyron et la Lozère, l’installation des représentants du gouvernement provisoire, l’épuration de l’administration vichyste et les premiers procès devant la cour martiale.
Libération de Montpellier, les chars défilent place de la Comédie le 2 septembre 1944. Archives de Montpellier, 25 Fi 1
20 août : les Allemands évacuent Montpellier
Les 19 et 20 août, l’armée allemande, la Wehrmacht, fait ses bagages. Elle abandonne les hôtels et les bâtiments publics qu’elle occupait, démonte les symboles nazis des façades, réquisitionne tous les véhicules disponibles, voitures, autobus, camions jusqu’aux vélos et quitte la place dans un défilé improbable, camouflée sous des branchages. C’est la débandade. Deux jours durant, les convois ne cessent de circuler, de jour comme de nuit.
Le départ des dernières troupes allemandes de Montpellier le 23 août. Photographie publiée dans La Libération de Montpellier août 1944 (Archives de Montpellier, 5BIB283)
Avant de s’enfuir, les Allemands détruisent les installations téléphoniques et télégraphiques de l’Hôtel des Postes et Télécommunications près de la Préfecture, ainsi que les dépôts de vivres, de munitions et de matériels qu’ils ne peuvent emporter à la Citadelle (Lycée Joffre). Des fusillades et des explosions accompagnent le départ de l’Etat-Major et des troupes de garnison.
Dans la journée du 20 août, le service de la Défense passive est alerté à 11h55 que les Allemands vont faire sauter une partie de la Poste. Il établit alors un périmètre de sécurité dans un rayon de 100 mètres autour du bâtiment avec évacuation de ce secteur. La population est prévenue de ne pas s’affoler, de fermer les volets et d’ouvrir les fenêtres. A 19h14, la Poste saute. Avec l’explosion de la Poste, c’est également le système d’alerte anti-aérienne de Montpellier qui est mis hors service. A 19h25, on entend deux autres détonations à la Citadelle.
Le central téléphonique de Montpellier détruit par les Allemands. Photographie publiée dans La Libération de Montpellier août 1944 (Archives de Montpellier, 5BIB283)
Journal de Charly Samson
Dimanche 20 août 1944
Le matin, à 7h30, j’assiste au mitraillage de la route de Nîmes par le même type d’avions. Robert m’apprend que chez lui, dans la nuit, on lui a pris 3 vélos ; il a sauvé le sien car la veille il l’avait laissé chez moi. Nous partons aussitôt pour camoufler le mien et celui de ma mère.
De nombreuses troupes s’en vont. Un grand convoi est sur le Boulevard. Un officier qui me demande un renseignement me dit « Kaput » en parlant de la route de Nîmes. Les soldats sont bien piteux, ils ont l’air fatigués et malades et en les regardant comme hommes on les plaint. Les avions tournent au-dessus de la ville. Vers 10h, on entend une violente mitraillade.
Dans l’après-midi, au bruit des nombreux convois se mêle celui des explosions car ils font sauter de nombreuses choses : Fréjorgues, la Citadelle, la Poste etc.
21 août : la confusion
En ce lundi 21 août 1944, le désordre le plus total règne à Montpellier. La Résistance n’a pas encore pris le contrôle de la ville, tandis que les colonnes motorisées et blindées allemandes retardataires continuent à la traverser, entretenant une certaine insécurité. Un Montpelliérain, Georges Coste, est abattu dans la rue par les Allemands en distribuant des tracts pour la Résistance.
Le Comité départemental de la Libération ayant appelé à la grève générale, beaucoup de Montpelliérains sont dehors dans les rues pour manifester leur joie. Place Jean-Jaurès, un buste en plâtre du célèbre parlementaire socialiste est installé, entouré de drapeaux tricolores, à l’emplacement du monument enlevé par Vichy.
D’autres, en revanche, se laissent aller à la vindicte populaire. En fin d’après-midi, une milicienne est prise à partie par la foule. Elle est châtiée puis conduite sur la Comédie pour être présentée au commissariat de la rue Boussairolles. Des soldats allemands en retraite, stationnés au niveau de l’Esplanade, interviennent pour disperser l’attroupement. Par crainte d’un débordement de violence à leur égard, ils ouvrent le feu. C’est la fusillade de la place de la Comédie. Il est 19h30. On dénombre deux victimes, une jeune fille de 16 ans et un jeune militaire indochinois, ainsi que trois blessés. Après négociation avec le Secrétariat général de la police de Montpellier, les Allemands regagnent leur unité sur l’Esplanade. Un couvre-feu est instauré à partir de 20 heures.
Journal de Charly Samson
Lundi 21 août 1944
Le matin, je me rends au bureau comme d’habitude après avoir vu de loin le pillage par des Français des maisons abandonnées par les Allemands et les dégâts infligés à la place du marché aux fleurs par les explosions de la Poste.
Dans la matinée, du bureau je vois les gens qui courent dans la Grand-rue, affolés et j’entends des détonations. A midi en sortant, je vois courir les gens et j’entends des détonations. Nous passons par des petites rues pour me rendre chez moi. Dans la rue des Carmes, je croise un groupe de personnes hurlant et gesticulant qui amène un milicien, le rouant de coups de poings sur la tête et la figure qu’il a en sang.
On entend des détonations et je décide de ne pas aller travailler ainsi que ma mère qui à midi a failli être tuée sur la place de la Comédie. Les explosions continuent très tard dans l’après-midi. Vers le soir, une grande fumée s’élève de derrière le clocher de Sainte-Anne. Dans l’après-midi, j’entendais des sifflements comme si des projectiles passaient tout près. Le soir tout est calme. On apprend qu’il y a eu de nombreuses victimes et à 20h30 un agent dit dans la rue de ne pas sortir à partir de 21h car les Allemands mitraillent.
22 août : Montpellier libéré
Le mardi 22 août, le Commissaire de la République Jacques Bounin, alias Maigret, représentant du gouvernement provisoire du général de Gaulle, avec l’appui de Maurice Planès, chef régional du Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (M.N.P.G.D.), et de ses hommes des maquis Léon (Henri Glazer) et de Vailhauquès (René Bony), prend possession des principaux points stratégiques de Montpellier. Le préfet régional vichyste Augustin Michel, l’intendant de police Charles Hornus et le préfet délégué milicien Jean-Paul Reboulleau sont arrêtés. Le lieutenant-colonel Arsac prend le commandement des milices patriotiques et des maquis, et établit son quartier général à l’école Legouvé, boulevard Pasteur. Le nouveau préfet André Weiss s’installe de son côté à la Préfecture, tandis qu’Émile Martin, secrétaire général honoraire de la Mairie de Montpellier, devient le nouveau premier magistrat de la ville.
Dans les rues, les haut-parleurs annoncent le message du Commissaire de la République Maigret :
Montpelliérains !
L’heure de la Libération va sonner.
Les glorieuses Forces Françaises de l’Intérieur ont reçu l’ordre de rejoindre la ville pour assurer sa sécurité.
Vous serez alors convoqués pour installer au pouvoir une nouvelle Municipalité.
Vive la France ! Vive la IVe République ! Vive de Gaulle !
Les grandes figures de la Libération de Montpellier. Archives de Montpellier, 5BIB283
Journal de Charly Samson
Mardi 22 août 1944
La nuit a été calme, quelques coups de feu par ci par là. Les journaux n’ont pas paru. Je pars au bureau. Dans la matinée, on voit encore des gens courir, on apprend que beaucoup d’administrations sont fermées et on vient nous dire que le maquis est en ville. A midi, en sortant, tout est calme, peu de monde dans les rues. Je ne vois rien d’anormal. Arrivé devant chez moi, j’entends un haut-parleur : « Allo ! Allo ! Le maire de Montpellier au nom du commissaire de la République ordonne aux commerçants de rouvrir leur magasin afin d’assurer le ravitaillement de la population. » Décidément, il y a du nouveau. Une auto passe surmontée d’un hautparleur, sur un fanion et sur les portières deux grosses lettres : DP. Plus tard passe une moto avec un fanion semblable. Je commence à croire que le maquis est descendu, il [se] pourrait d’ailleurs qu’il occupe certains locaux. Il est 13h30 et tout est calme. Je viens de voir passer des jeunes gens armés (?) sur un camion ; deux autres sont passés avant. Des gens crient, on applaudit. A la portière d’une voiture, un homme armé d’un révolver. Des hommes courent, des véhicules passent, il est 13h40. L’après-midi, je vais travailler. En ville, on voit passer des camions du maquis.
En sortant à 18h30, je trouve la ville en animation. Car tout le monde avait congé aujourd’hui. Comme par enchantement, les Allemands ont totalement disparu et comme pour fêter ce départ, le temps qui était nuageux et obscur depuis de longs jours s’est subitement remis au beau. Sur la Comédie, à l’université, à Grossetti (Agora de la Danse), partout, des drapeaux français, partout des fanions tricolores, partout, des cocardes, des rubans, des robes de femme aux trois couleurs de France. Sur l’Esplanade, les Allemands ont abandonné deux grosses camionnettes sur lesquelles est écrit un peu partout ce simple mot « danger » ; elles sont couvertes de caisses et de valises.
Au faubourg de Nîmes, de profondes empreintes dans le goudron : une division blindée devait en effet traverser la ville avant la nuit. A Legouvé, il y a un cantonnement de maquisards et je suis franchement déçu d’y apercevoir quelques tristes célébrités de Montpellier ainsi que de nombreux hommes de la caserne des hussards. Beaucoup de ces gens-là ont des mines patibulaires et j’espère que ce n’est pas là tout le maquis. A 19h45, grand émoi dans le quartier, tout le monde court vers Legouvé. Il paraît que la division blindée aurait été bloquée à Nîmes et aurait rebroussé chemin se dirigeant à nouveau vers Montpellier. Tout le monde est déçu de cette nouvelle et on n’est réellement pas content de ce que ce maquis ait devancé le jour de son arrivée pour nous faire courir de nouveaux dangers.
Dans la ville depuis hier, c’est le véritable état de révolution. Les femmes des miliciens sont dévêtues et promenées ainsi dans toute la ville souvent après avoir été tondues. Quant aux miliciens, ils ont été pour la plupart massacrés par la population. En résumé, journée étrange qui a été commencée avec une grande joie mais a été terminée par une grosse déception. Enfin, ils sont partis et c’est l’essentiel. Il est 22 heures et dans la rue on entend un va et viens continuel de voitures. J’espère que maintenant les plus mauvais jours sont passés et que la vie sera un peu moins agitée.
En ville, un nouveau maire et un nouveau préfet seraient, paraît-il, entrés en fonction, ainsi qu’un commissaire de la République ; c’est une auto avec haut-parleur qui l’a annoncé.
A 22 heures, on crie et on siffle dans la rue pour le camouflage des lumières. Les becs de gaz sont d’ailleurs éteints. Certaines personnes s’imaginent sans doute que parce qu’ils sont là, tout est terminé.
23 août : installation officielle des nouvelles autorités de Libération
Les derniers chars allemands traversent la ville. Les Montpelliérains sont convoqués par affiche à 16h devant la Préfecture pour installer le nouveau pouvoir civil et la nouvelle municipalité. Une foule immense est au rendez-vous. Du balcon central, M. Maigret, c’est-à-dire Jacques Bounin, qui n’a pas encore révélé sa véritable identité, prend la parole :
Patriotes de Montpellier !
La France est en guerre. Voici les dernières nouvelles militaires :
Paris a été délivré par les F.F.I. Cinq cents Allemands se sont rendus dans notre région. La lutte continue autour de nous. Si nos camarades du maquis ne sont pas encore là, c’est qu’ils se battent tout près de vous.
La cérémonie se limitera aujourd’hui à la prise de possession du pouvoir du Commissaire de la République, cela pour des raisons de sécurité.
Des S.S. isolés circulent dans la région. Je ne parlerai donc que pendant quelques minutes. Vous serez tous convoqués pour l’installation solennelle.
Au nom du Comité régional de Libération, président Astier, du Comité départemental de Libération, président Bène, la grève générale est terminée. Vous reprendrez tous le travail, les journées de grève seront payées par les employeurs.
Toutes les administrations civiles reprendront aussi le travail. Vous devez servir avec plus de zèle, puisque maintenant vous servez la France.
Nous vous demandons de faire confiance à la Police. Il faut que vous sachiez que nous devons, pour la plupart, notre liberté actuelle à sa complicité.
Nous avons le moyen d’assurer le ravitaillement de la ville de Montpellier dans les jours qui viennent, même sans possibilité de transport. Dans l’Aveyron, pommes de terre et viande sont prêtes à être envoyées.
Vous porterez au pouvoir, dans une cérémonie solennelle, une nouvelle municipalité. La Délégation municipale se composera de M. Martin, secrétaire général de la Mairie, entouré de cinq membres qui sont responsables, chacun, d’un mouvement de résistance, étroitement unis.
Ce sont : un représentant du Mouvement de Libération nationale, un représentant du Front National, un représentant de la C.G.T., un représentant du Parti socialiste, un représentant du Parti communiste.
C’est grâce à eux que nous avons pu conduire la population de Montpellier sur cette place. Avec eux nous vous avons arrachés à l’oppression vichyssoise et à la barbarie nazie. […]
Vive la République ! Vive la France ! Vive de Gaulle !
La Marseillaise retentit au milieu des acclamations.
Jacques Bounin, alias Maigret. Photographie publiée dans Montpellier 2 septembre 1944. Au Général de Lattre de Tassigny (Archives de Montpellier, 3DOC133)
Le 23 août, Jacques Bounin, sur proposition du Comité local de la libération nationale, dissout le Conseil municipal de Montpellier et nomme Emile Martin, secrétaire général honoraire de la Mairie, maire de Montpellier, entouré d'une délégation municipale composée de 5 membres : Jean Alard, vice-président, Joseph Filhol, Louis Galtier, Jean Péridier et Jean Olivet.
Emile Martin avait repris du service au sein du secrétariat général de la Mairie après l'arrestation de Jean Baumel en janvier 1944 et poursuivi les activités clandestines de noyautage de l'administration municipale pour la Résistance.
En septembre, Jean Olivet est remplacé par Marcel Gallix. En février 1945, la Délégation municipale est élargie avec l'entrée de 17 nouveaux membres, dont trois femmes : Rose Ciabrini, Simone Demangel et Suzanne Pupponi. Les élections municipales d'avril-mai 1945 confirmeront l'entrée des femmes au Conseil municipal de Montpellier.
Arrêté du commissaire régional de la République du 23 septembre 1944. Archives de Montpellier, 1 K 668
Journal de Charly Samson
Mercredi 23 août 1944
De bon matin, le maquis monte la garde sur les abris derrière chez moi. Ce sont des garçons de mon âge, peut-être plus jeunes, qui se préparent à tirer et mettent en joue au moindre bruit de moteur. Ils ont une grenade allemande à la ceinture.
Je sors, les journaux n’ont pas paru, mais dans la rue, on distribue un nouveau périodique qui dit que l’Eclair et le Petit Méridional ne paraîtront plus. J’apprends que tous les types de la défense passive sont réquisitionnés pour aller chercher du ravitaillement à la population.
A midi en sortant, la ville est pavoisée partout des drapeaux français, de nombreux drapeaux anglais et américains et quelques drapeaux belges. Dans la rue on distribue des papiers annonçant une grande manifestation à 16h à la Préfecture, pour l’installation des nouvelles autorités.
Après-midi, je dois travailler. A 14 heures, je me rends au bureau ; vers 15h15, une employée vient nous dire que deux hommes du maquis sont dans le bureau du directeur. Depuis que le maquis est ici, il a ordonné la grève générale ; chez nous, cet ordre n’a pas été observé. A 15h30, un chef de service vient nous annoncer que nous sortirons à 15h45 afin de pouvoir aller assister à la manifestation.
L’heure venue, je sors. Dans la rue de la Loge, un flot humain monte vers la Préfecture. Sur la place Jean-Jaurès, un buste du grand orateur (malheureusement renversé et brisé par le vent) entouré de feuillage avec le nom inscrit sur le sol ainsi qu’une croix de Lorraine. Place de la Préfecture, les gens commencent à se masser. Avec quelques camarades, nous choisissons une place à l’angle de la place et de la rue de la Loge, au coin de Sigrand. Petit à petit, les gens affluent, les visages rayonnent de joie, de temps en temps des véhicules du maquis se faufilent à travers la foule. Soudain, des applaudissements : ce sont les agents de ville qui arrivent, tout le monde les acclame et ils se frayent un chemin vers la Préfecture sous les applaudissements. Derrière eux, un groupe de femmes agents, alors à mesure qu’ils avancent et que la foule voit ce dernier groupe, les éclats de rire succèdent aux applaudissements et on entend même certaines exclamations ironiques. Aux fourneaux. A 16h05, les applaudissements crépitent, c’est le drapeau qu’un ouvrier amène sur le balcon. A ce moment, un homme juché sur la statue au milieu de la place – cette statue n’est d’ailleurs qu’une grappe humaine – cet homme entonne la Marseillaise le poing levé ; la foule reprend et tout le monde chante.
Un peu avant 16h10, les autorités arrivent sur le balcon, accueillies par les applaudissements de la foule. Auparavant, des jeunes gens ont parcouru la foule, distribuant des tracts de propagande communiste. Le commissaire de la république prend la parole et après son discours, une espèce de grand énergumène (il me semble que c’est celui de tout à l’heure) apparaît au balcon. Il chante la Marseillaise le poing levé et deux autres poings se lèvent sur le balcon ; dans la foule d’autres poings se lèvent ; c’est écœurant. Pendant le discours du commissaire, selon les sujets qu’il traitait : ravitaillement, vengeance, les applaudissements crépitaient ; mais en revanche, j’ai remarqué qu’une bonne partie de la foule était très réservée quand il parlait du communisme. Par prudence, il nous annonce qu’il lui est impossible de nous présenter les nouvelles autorités et nous conseille de ne pas prolonger le rassemblement, des éléments allemands ayant été signalés dans la région. Je vais d’abord faire une course et à 18h j’entends le sinistre bourdonnement des bombardiers, ils passent sans nous inquiéter.
Le bombardement du 24 août 1944
L’aviation alliée, pour couper toute retraite aux troupes allemandes vers la vallée du Rhône, mène plusieurs opérations de pilonnage dans la région. A 17h25, la ville est survolée par 3 escadrilles anglo-américaines de 9 unités chacune, soit au total 27 appareils, qui larguent une trentaine de bombes. Le viaduc du chemin de fer sur le Lez dit « Pont de Pavie » entre Castelnau et Montpellier est à nouveau visé et cette fois-ci détruit. Le trafic ferroviaire est complètement interrompu à cet endroit. La route de Nîmes est également touchée avec la destruction du bureau d’octroi. Il n’y a pas de victimes.
Les Montpelliérains sont surpris par le bombardement. Depuis le 20 août, il n’y a plus de signal de danger aérien ni d’alerte-menace, les sirènes ne pouvant fonctionner. Le centre d’alerte situé dans les sous-sols de l’Hôtel des Postes, qui les mettait en action grâce à un système de télécommande, a été détruit par les Allemands avant leur départ. En revanche, les cloches des églises, dont les sonneries avaient été interdites par les Allemands, résonnent pour la première fois ce jour-là pour annoncer la Libération.
Rapport sur le bombardement du 24 août 1944. Archives de Montpellier, NC 6970
Le pont de Pavie détruit après le bombardement par l’aviation anglo-américaine. Photographie publiée dans La Libération de Montpellier août 1944 (Archives de Montpellier, 5BIB283)
Journal de Charly Samson
Jeudi 24 août 1944
Je me lève à 6h30. A partir de 7 heures, j’entends un bruit de moteur au-dessus de la ville ; j’aperçois un appareil, puis plusieurs, puis enfin j’en compte quatre qui évoluent derrière l’hôpital général, probablement sur la route de Ganges ou de Grabels. Après un moment de calme, je les aperçois survolant le sud-est de la ville, puis évoluant très loin du côté du Crès. Ils volent assez haut, montent, descendent, tournent, retournent, semblent se poursuivre, se mettent à tourner en rond jusqu’à ce qu’un se détache et pique sur un objectif invisible pour moi. Quelquefois j’entends, lointain mais assez fort tout de même, le bruit de la mitraille. A 7 heures, ils semblent se diriger vers la mer, puis disparaissent.
La grève générale étant terminée, la vie semble avoir repris un cours un peu plus normal. Il fait d’ailleurs un temps magnifique, un ciel bleu, pas un nuage. Sur la Préfecture, il y a deux fois plus de drapeaux qu’hier ; partout, la ville est magnifiquement pavoisée. La ville est constamment parcourue par les autos du maquis qui ont peint sur leur toit une grosse étoile blanche ; certaines portent aussi la croix de Lorraine. La matinée a été très calme et l’après-midi s’annonce de même. Mais vers 17h30 on entend le sinistre bombardement des avions. Le bruit est très fort et par curiosité nous montons sur le toit d’où nous voyons plus de vingt bombardiers à une assez faible altitude qui se dirigent vers la mer. Par la suite, j’ai appris qu’ils avaient bombardé les ponts sur le Lez entre la ville et Castelnau. Le pont du chemin de fer aurait, parait-il, été touché, on dit que celui de la route aurait été raté.
24 août : la colonne allemande menace Montpellier
A la suite des ordres d’Hitler, les troupes allemandes ont l’ordre de gagner d’urgence le nord de la France par la vallée du Rhône. Jusqu’au 26 août, plusieurs colonnes allemandes vont traverser le département de l’Hérault. Un important convoi en provenance de Rodez est signalé en direction de Montpellier. Arrivant de Montarnaud, la colonne allemande stationne au hameau de Bel-Air vers deux heures de l’après-midi. Les Allemands informent les autorités qu’ils attendent « des militaires en uniformes pour se rendre ». Des pourparlers s’engagent avec la délégation montpelliéraine menée par le commandant Quarante (Lucien Ely), mais la discussion tourne mal. Les Allemands font feu, les résistants ripostent. Quatre F.F.I. sont exécutés. Le domaine voisin Paulhan est incendié en représailles, après avoir enfermé les occupants dans la remise. La colonne allemande poursuit sa route en direction de Grabels et de Montferrier, tout en contournant Montpellier.
A ces nouvelles, Jacques Bounin prend le commandement de la défense de Montpellier. Il confie officiellement au Lieutenant-colonel Arsac son organisation en qualité de commandant d’armes de la place. Ils établissent un plan d’action et font poster sur toutes les routes aboutissant à Montpellier à environ 2 km du centre, des milices patriotiques commandées par un officier avec un interprète pour connaître les intentions des Allemands. Dans la nuit du 24 au 25 août, des éléments de la colonne allemande s’avancent par la route de Juvignac et engagent le combat à proximité de Celleneuve, avant de se rediriger sur la route de Ganges.
Le château Paulhan à Bel-Air, incendié par les Allemands le 24 août 1944. Photographie Jean-Claude Richard. Archives de Montpellier, 6 S 253
Journal de Charly Samson
Jeudi 24 août 1944
Vers 18 heures, affolement général, les gens courent dans la rue. Une femme agent crie : « ils sont là, les Allemands sont là ! » Aussitôt des maquisards posent leur brassard, d’autres s’installent avec leur mitraillette sur le toit des autos et c’est une circulation incessante. Un autobus passe rempli de jeunes gens armés jusqu’aux dents, ils vont paraît-il à leur rencontre, ils sont acclamés par les gens qu’ils croisent. L’agitation ne cesse pas.
A 18h30, on nous fait dire de ne pas nous attarder pour rentrer. Certains disent même qu’il y a des Allemands en ville. Je sors avec Audouy, mais la curiosité étant plus forte, nous nous hasardons à faire le tour par le Boulevard de l’Esplanade. Les cafés de la Comédie sont fermés, quelques personnes sont cependant assises aux tables des terrasses ; on a enlevé tous les drapeaux. Les gens paraissent préoccupés, de petits groupes se forment où les bobards sont roi. Nous descendons par le Faubourg de Nîmes ; l’Esplanade est complètement déserte : on n’y compterait certainement pas 20 personnes. Arrivé chez moi, j’apprends par le maquis qui est à l’école Legouvé que les Allemands sont à Bel-Air et qu’ils attaquent Montferrier. J’apprends d’autre part que c’est un poste émetteur de Montpellier, en relation avec les Alliés, qui a demandé les bombardiers que j’ai vus après-midi pour découvrir les colonnes allemandes. N’ayant pas pu les trouver, ils n’ont rien trouvé de mieux que de leur couper la retraite.
Voici la situation à 21 heures. Les Allemands ont été refoulés à Nîmes, ils attaquent Montferrier, ils sont à Celleneuve et on craint l’arrivée d’une colonne venant de Béziers. La radio du maquis a demandé d’autres avions aux forces alliées. Une grande animation règne devant l’école Legouvé. Le maquis aurait, paraît-il, fermé le barrage de l’arc de triomphe. Evidemment l’aviation est efficace mais elle est dangereuse ; ce matin, elle a mitraillé un convoi du maquis qui circulait dans des camions pris aux Allemands : il y a eu un tué. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont peint leurs grandes étoiles blanches.
A 21h30, la radio donne un avertissement selon lequel : une colonne allemande partie du nord de Béziers est en marche vers la vallée du Rhône, pillant tout et incendiant tout sur son passage. La population doit prendre les mesures nécessaires. Cet avertissement est d’ailleurs adressé au département de l’Hérault. J’apprends aussi que le maquis de Montpellier doit aller renforcer celui de Sommières encerclé par les Allemands.
De temps en temps, on entend des cris, des courses dans la rue, une fois même un coup de feu ; une femme est passée tout à l’heure en courant criant : « ils sont à Suburbain ! » Sur le Boulevard, c’est un défilé incessant de camions, d’autos, de motos et de maquisards.
A 23 heures, je me prépare à aller me coucher ; l’agitation n’a pas faibli. En résumé, la journée s’annonçait bien, mais elle finit plutôt lugubrement : que va-t-il se passer ? La ville a cependant eu une petite consolation en plus de l’amélioration du ravitaillement : les cloches ont sonné l’angélus ; il y avait très longtemps qu’on ne les avait pas entendues et ça m’a tout de même fait plaisir.
25 août : le combat de Montferrier
Dans la nuit du 24 au 25 août, tous les hommes en armes se portent à Montferrier où se dirige la colonne allemande. La configuration géographique du village perché sur une colline offre une position facilement défendable et permet d’harceler l’ennemi passant sur la route en contre-bas dans la vallée du Lez. La mission offensive principale est confiée au Lieutenant-colonel Méar avec 300 hommes du régiment colonial (Malgaches) et des milices patriotiques. L’opération prévoit d’attaquer par surprise au matin du 25.
Le combat s’engage vers 10h au pont du Lez sur la route de Montferrier à Clapiers. Les milices patriotiques et les tirailleurs essuient un feu violent, et se replient vers midi à Montferrier. En début d’après-midi, les combats sont intenses au nord et au sud du village. L’issue paraît alors indécise. Craignant une contre-attaque allemande, des renforts sont demandés à Montpellier. Les groupes francs Léon et Valmy sont envoyés sur place. Les Français parviennent cependant à positionner leur artillerie de manière à couvrir l’offensive au sol et de redresser la situation vers 15h30. La queue de la colonne allemande est mise hors d’état de nuire. Certaines parviennent à s’enfuir, les autres sont faits prisonniers.
Le combat fait deux morts et six blessés du côté français. Malheureusement six patriotes ont été fusillés la veille à Montferrier par les Allemands. En revanche, de lourdes pertes sont infligées à l’arrière-garde allemande. Celle-ci se disperse dans les environs et des centaines de soldats sont faits prisonniers dans les jours suivants entre Castelnau et Sommières.
Plan du combat de Montferrier. Archives de Montpellier, 5BIB283
Montferrier vu du pont du Lez. Archives de Montpellier, 5BIB283
Journal de Charly Samson
Vendredi 25 août 1944
L’agitation n’a pas cessé de la nuit. Malgré cela, j’ai bien dormi et en me levant à 7h10, j’entends des avions ; on dit qu’ils se dirigent vers Celleneuve. Un moment après, j’entends de temps en temps des détonations isolées. A 7h45, les avions repassent, 4 chasseurs, ils évoluent dans le ciel puis s’éloignent en direction de la mer. Je me rends au bureau où j’apprends que les Allemands sont dans les parages et qu’il en est passé dans la nuit sur la route de Ganges. La matinée se passe dans une atmosphère remplie de bobards. Entre midi et 14 heures, la situation est critique. La bataille fait rage du côté de Montferrier. Au bureau on vient nous dire que les Allemands ne sont pas loin du plan des 4 Seigneurs ; on vient nous dire un moment après que la lutte est finie et que les Allemands se sont rendus.
En sortant à 18h30, grande affluence sur la Comédie, les gens attendent des prisonniers. Sur la place Albert Ier, la bonne nouvelle m’est confirmée : la bataille a été très rude, de nombreux Allemands ont été tués, les autres ont été faits prisonniers. On déplore la mort de 6 maquisards. On ne peut s’empêcher d’admirer le courage exalté de ces hommes et des jeunes gens qui faiblement armés sont venus à bout d’une colonne de soldats entrainés et bien armés. A 20h30, un camion passe, il remorque un camion allemand sur lequel se trouve un prisonnier. Pour lui la guerre est finie : les maquisards l’amènent à Legouvé. Les maquisards rentrent ce qu’ils ont pris, ils distribuent même des biscuits et des caramels. (C’est écœurant de voir les gens qui se disputent).
La journée avait été fort mal commencée, elle s’est terminée par une grande victoire. Partout où ils passent, les maquisards sont acclamés et ils le méritent bien car aujourd’hui, menés par un officier français, ils ont fait du beau travail.
Prisonniers allemands défilant à Montpellier vers le 31 août. Archives de Montpellier, 6 S 253
27 août : arrivée des Forces Françaises de l’Intérieur
Dès le 25 août, les premiers maquis affiliés aux Forces Françaises de l’Intérieur font leur entrée dans Montpellier. C’est l’arrivée fameuse des camions du maquis Bir-Hakeim par l’avenue de Lodève en provenance du cirque de Mourèze près de Clermont-l’Hérault. Tout le long du parcours, jusqu’à la place de la Comédie, les « Biraquins » sont acclamés par la foule enthousiaste. Ce maquis compte plusieurs Montpelliérains, dont leur chef, François Rouan, alias le capitaine Montaigne, et l’aumônier-capitaine Level, curé de Saint-Guilhem-le-désert. On retrouve également Henri Prades, adjoint de Montaigne et chef du groupe du Rocher des Vierges, ou l’officier anglais Andrew Croft et sa brigade. Arrivés dans la soirée, les Montpelliérains leur réservent un accueil triomphal.
L’essentiel des contingents F.F.I. arrivent à Montpellier le 27 août, avec à leur tête le colonel Gilbert de Chambrun, alias Carrel, chef régional des Forces Françaises de l’Intérieur, accompagné du lieutenant-colonel Leroy, alias Villiers. 800 hommes issus des maquis de l’Aveyron font leur entrée officielle au chant de la Marseillaise et sous les acclamations de la population. Le colonel Carrel prononce un discours à la radio, reproduit dans le deuxième numéro du Midi Libre. Il nomme officiellement le lieutenant-colonel Leroy commandant d’armes de la place de Montpellier.
Arrivée du maquis O.R.A. des Corsaires (Cévennes) le 27 août place de la Comédie. Photographie publiée dans La Libération de Montpellier août 1944 (Archives de Montpellier, 5BIB283)
Journal de Charly Samson
Dimanche 27 août 1944
La nuit a été calme, quelques coups de feu de temps en temps, presque rien. Vers 11 heures, je suis sur l’esplanade quand je vois les gens courir vers la Comédie. C’est un maquis qui arrive. Sur des camions, des uniformes français se voient enfin, tandis que retentissent le « Chant du départ » et la « Marseillaise » au milieu du tonnerre d’applaudissements de la foule. Les camions s’arrêtent sur l’Esplanade, autour d’eux les gens se pressent et ce ne sont qu’acclamations, exclamations, applaudissements et chants patriotiques. Tout à l’heure en montant on a vu défiler quelques uniformes français au milieu des chaleureux « bravo » de la foule.
28 août : installation officielle des représentants du Gouvernement provisoire de la République française
Le 28 août, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, commissaire à l’Intérieur du Gouvernement provisoire de la République française, installe officiellement à la Préfecture le commissaire de la République Jacques Bounin.
Les Montpelliérains sont invités à 14h30 devant la Préfecture. La place est noire de monde. Le drapeau tricolore est hissé sur la façade de la Préfecture. La cérémonie débute par un défilé des maquisards : corps-francs de la libération, francs-tireurs partisans, organisation de résistance de l’armée, milices patriotiques et groupements d’indigènes coloniaux.
Jacques Bounin fait d’abord l’éloge d’Emmanuel d’Astier, proche du général de Gaulle et fondateur du mouvement « Libération-Sud ». Puis le Commissaire à l’Intérieur prend la parole et révèle à la foule en liesse le vrai nom de son « ami Maigret », le député Jacques Bounin. Il salue la mémoire de Jean Guizonnier, torturé par la Milice et annonce l’entrée imminente à Montpellier du général de Lattre de Tassigny. Avant de conclure par ces mots :
Français, le jour de gloire est arrivé, votre amour sacré de la Patrie, votre amour du genre humain ont leur première récompense, et maintenant, pour la Patrie, pour les droits de l’homme, vous allez gagner la paix comme vous avez gagné la guerre.
Midi Libre n°2, 28 août 1944. Archives départementales de l’Hérault
Journal de Charly Samson
Lundi 28 août 1944
A 12 heures, je trouve tous les employés du bureau devant la porte : « nous allons à la cérémonie à la préfecture à 14h30 ». La place est, à 14h20, noire de monde, partout, sur le monument au centre de la place, sur des échelles, sur les fenêtres, sur les toits. Appuyée contre la poste, une grande échelle décrit un dangereux arc de cercle. Partout des drapeaux français, anglais, américains, canadiens et belges : une féérie de bleu, de blanc et de rouge. Les haut-parleurs nous prodiguent des marches militaires. Il fait très chaud, je sue à grosse goutte. Arrivés par petits groupes, les autorités sont maintenant sur le balcon ; je ne reconnais guère que le commissaire de la République. Une personne apporte le drapeau et les couleurs sont hissées en haut du mat ; puis c’est le défilé des glorieuses troupes de l’intérieur. Devant la porte de la Préfecture, un groupe d’officiers en grande tenue. On voit défiler une série d’uniformes, groupes de résistance et uniforme du soldat français. Tous les groupes sont largement acclamés, c’est un véritable délire dans la foule. Les Sénégalais sont eux aussi chaleureusement et longuement ovationnés. On voit passer de nombreux visages halés par la vie au grand air. C’est le maquis. Puis c’est le tour des discours.
Le commissaire de la République présente M. d’Astier de la Vigerie, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Gaulle. Ensuite le ministre qui se faisait appeler Bernard dans la résistance prend la parole. C’est un homme jeune, blond, à la taille élancée et très sympathique ; il parle très bien et son discours au ton assez modéré ne manque pas de bonheurs (?) et de belles promesses.
La cérémonie commencée à 14h45 se termine une heure plus tard par l’exécution de la Marseillaise.
La foule est enthousiasmée et les orateurs ont été coupés à chaque instant par des tonnerres d’applaudissements. Le ministre a été particulièrement applaudi quand il a annoncé la prochaine venue à Montpellier du général De Lattre de Tassigny.
Midi Libre n°3, 29 août 1944. Archives départementales de l’Hérault
29 août : arrivée de l’armée française
Dans la soirée du 29 août, les premières troupes françaises, appartenant aux éléments de l'armée qui ont débarqué en Provence quelques jours plus tôt, font leur entrée dans Montpellier avec les contingents du général Brosset (première division) et du lieutenant-colonel Simon (8e régiment des chasseurs d'Afrique).
Toute la journée, une foule immense, échelonnée depuis la route de Nîmes jusqu'à la place de la Comédie, attend les hommes du général de Lattre de Tassigny. Tout est prêt pour accueillir le libérateur en grande pompe. Les Montpelliérains acclament les soldats à leur passage et assistent à un défilé de chars. Mais le héros tant espéré n'est pas là. De Lattre ne fera son entrée à Montpellier que quatre jours plus tard.
Annonce de l'arrivée du général de Lattre de Tassigny à Montpellier. Midi Libre n°6 du 1er septembre 1944. Archives départementales de l'Hérault
Journal de Charly Samson
Mardi 29 août 1944
La Comédie n’a je crois jamais été aussi bien pavoisée. Sur le balcon du milieu du théâtre, une grande bande étoffe tricolore partant des coins d’en haut forme un immense V ; dans le fonds, sur fond blanc, une grande croix de Lorraine rouge. Sur les côtés, encore nos trois couleurs mais au milieu, on voit à gauche les drapeaux anglais, russe et américain, et à droite les drapeaux anglais, belges et américains.
Libération de Montpellier, les chars défilent place de la Comédie (détail). Archives de Montpellier, 25 Fi 1
Nous partons nous dirigeant à la hâte vers le faubourg de Nîmes. Une foule très dense fait la haie. Nous allons nous placer au pied des escaliers de l’Esplanade. Plusieurs fausses alertes, nous voyons passer des autos et des motos du maquis. Bientôt nous voyons apparaître un camion acclamé par la foule. Sur la cabine, flotte un drapeau tricolore et à côté un uniforme français. C’est un camion du maquis, tout le monde applaudit : eux aussi ont droit à nos bravo ; eux surtout ont droit à nos « merci ». Dans ce début de crépuscule, il va être 21 heures, ce drapeau et cet uniforme se détachaient sur fond éclairé que forme un café à la devanture illuminée.
A 21h05, on entend applaudir : ce sont eux ! Nous voyons des phares qui avancent lentement, face à nous et, quand ils tournent, nous distinguons une petite voiture, sans capot, et dans cette voiture, ô minute inoubliable, deux bérets, deux bérets de marins, et de marins français. La voiture s’arrête bientôt après le tournant, je cours aussi ; ce sont bien deux marins de chez nous. Un vieux. M. les félicite, ils ont le sourire, nous aussi, tout le monde est content ; certains pleurent. Etes-vous nombreux ? D’où venez-vous ? Y en a-t-il d’autres derrière ? Ils sont entourés, fêtés, acclamés. Je vais vite dire à mes parents que ce sont des français, puis je retourne auprès d’eux.
Il fait très chaud près de cette voiture, mais personne ne s’en aperçoit. Le marin qui est avec (?) moi est jeune, il a un visage très sympathique et un accent pointu qui donne encore plus de relief à tout ce qu’il dit. Son camarade est plus âgé, cheveux grisonnants, il est coiffé d’une casquette d’un vert foncé : peut-être une casquette anglaise ; d’ailleurs, derrière eux je vois deux casques plats comme je sais qu’il y en a dans l’armée britannique. De seconde en seconde, la foule se fait plus dense autour de cette auto ; je suis tout à fait devant, et je me suis même appuyé au volant. Tout le monde veut toucher le pompon et ce brave gars de chez nous dit qu’on a déjà failli le lui arracher partout où il s’est arrêté. Nous lui demandons s’il y a longtemps qu’ils ne rencontrent plus de résistance, et il nous répond que depuis Toulon c’est comme ça. Une vraie marche triomphale sous les applaudissements de la population. « Etes-vous passé par Nîmes ? » « Non, nous répond-il, je suis passé par Arles et je suis venu ici par Lunel. » « Y a-t-il beaucoup derrière vous ? » « Non, une dizaine de camions, tout au plus, l’infanterie arrivera demain. » « De quel corps faites-vous partie ? » « Nous sommes des marins, mais comme nous n’avons plus de bateau, nous faisons de la bagnole. »
Une jeune fille demande quand est-ce que nous verrons apparaître les anglais. « Les Anglais, nous dit-il, sont actuellement en ligne, tandis que les Américains font les ports et que l’armée française avance vers ici ». « Et De Lattre ? Et notre général ? » « Il est ici. » « Ici ?! » Tout le monde est surpris. « Ici, je veux dire dans le Midi, reprendre la main ; il était hier avec le ministre de la guerre. Actuellement, je ne sais pas exactement où il est. » « Où avez-vous débarqué ? » Les questions se succèdent. Le marin se prête avec le sourire à cet interrogatoire. « J’ai débarqué dans le Midi dans un lieu appelé La Cavalerie. »
Les gens se rassemblent de plus en plus. Les gens veulent toucher le pompon, une femme de prisonnier dit : « J’espère que ça me le fera revenir. » Une maman dit à sa fillette d’embrasser ce soldat français qui se laisse faire avec une visible émotion. Le béret à pompon rouge circule parmi les gens, je l’ai déjà eu dans mes mains. Des gens s’informent s’ils n’ont pas eu de difficultés à Castelnau à cause de l’entonnoir creusé par les bombes du dernier raid, près du pont sur la route de Nîmes. Ils disent ne pas s’en être aperçus. « Peut-être êtes-vous passés par une autre route, dit un vieux M. » « Non, rétorque une jeune fille, étant allé à leur rencontre, je les ai suivis et ils sont passés par là sans être gêné. J’ai même une camarade qui s’était accrochée derrière eux. » « Oui, je sais, dit le marin. »
La conversation se continue, au milieu des sourires, des serrements de mains, des questions posées continuellement et des réponses plus ou moins précises, mais d’une politesse exemplaire. Le marin nous dit notamment que depuis Toulon, c’est une véritable promenade, les boches s’en vont avant qu’ils arrivent. « A Montpellier, nous dit-il, nous avons poussé une flèche. » « Resterez-vous longtemps ici ? » « Non, nous devons nous rendre au bord de la mer, dans un lieu appelé Palavas. » Les mêmes questions sont posées plusieurs fois. Le brave marin répond toujours avec empressement.
Tout le monde est heureux. « Ils sont là ! » Nous savons que les autres arriveront demain et nous allons encore en voir passer quelques-uns.
30 août : un tribunal militaire pour juger les collaborateurs
Dans le cadre du Comité départemental de la Libération, le commissaire de la République Jacques Bounin institue à Montpellier une Cour martiale Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) pour punir les faits de collaboration. Cette Cour martiale doit siéger en premier pour juger l’ancien préfet délégué Reboulleau, le milicien Cordier et l’ancien intendant de police Hornus, arrêtés le 22 août. Les trois prévenus comparaissent sous l’inculpation de meurtres, tentatives de meurtre, complicité, séquestrations arbitraires, violences et voies de fait graves. Le 30 août, la première audience se tient dans la salle d’audience de la Cour d’assises au Palais de justice. La Cour martiale comprend cinq membres, présidée par le lieutenant-colonel Leroy, le siège du Commissaire du Gouvernement étant occupé par le capitaine Bel. Les juges sont tous des combattants du maquis et responsables de la Résistance : le commandant Planès, le capitaine Roland, le commandant Quarante et le lieutenant Méhu.
Première audience de la Cour martiale de Montpellier : les accusés Reboulleau, Cordier et Hornus, et leurs défenseurs. Photographie publiée dans La Libération de Montpellier août 1944 (Archives de Montpellier, 5BIB283)
La première Cour martiale condamne à mort le préfet-milicien Reboulleau et le chef milicien Cordier, et à 20 ans de travaux-forcés l’ex-intendant Hornus (qui sera rejugé ensuite par la Cour martiale de Toulouse et condamné à mort). Reboulleau et Cordier sont fusillés le lendemain dans les fossés du Polygone d’artillerie (sous le Lycée Joffre). D’autres audiences de la Cour martiale suivront pour juger des miliciens, les directeurs et rédacteurs des journaux L’Eclair et Le Petit méridional ou des personnalités politiques compromises avec le régime de Vichy. Plus de 70 condamnés à mort seront exécutés au Polygone dans les premiers jours de septembre.
2 septembre : le défilé de la Libération
L’entrée triomphale du général de Lattre de Tassigny à Montpellier le 2 septembre 1944 clôture les Journées de la Libération. Depuis l’annonce de sa venue, Montpellier est en effervescence. Resté très populaire, de Lattre est tenu en haute estime par les Montpelliérains et il est attendu avec impatience. La ville pavoise aux couleurs des alliés pour l’accueillir.
Midi Libre n°7 du 2 septembre 1944. Archives départementales de l'Hérault
La foule attend le général depuis plusieurs heures avant d’apercevoir les formations blindées vers 17h. De Lattre arrive en fin d’après-midi par la route de Nîmes. Il est accueilli par le commissaire de la République, les autorités civiles et militaires.
Jacques Bounin salue le général de Lattre de Tassigny à son arrivée, faubourg de Nîmes. Photographie publiée dans Montpellier 2 septembre 1944. Au Général de Lattre de Tassigny (Archives de Montpellier, 3DOC133)
Le cortège se forme ensuite par les boulevards Louis-Blanc, Pasteur, Henri IV. De Lattre descend de voiture et rejoint à pied la promenade du Peyrou, accompagné de Jacques Bounin et de son état-major.
"Le retour du vainqueur". Photographie publiée dans Montpellier 2 septembre 1944. Au Général de Lattre de Tassigny (Archives de Montpellier, 3DOC133)
Sous l’arc de triomphe a lieu la réception officielle, en présence de Martin, président de la Délégation municipale, et de Garcin, adjoint au maire de Strasbourg, au nom des réfugiés alsaciens-lorrains à Montpellier. Après le discours de Bounin, de Lattre reçoit l’hommage de jeunes filles en costume du Languedoc, du Roussillon et d’Alsace.
Après le passage sous l'arc de triomphe, de Lattre et Bounin remontent dans leur voiture. Photographie publiée dans La Libération de Montpellier août 1944 (Archives de Montpellier, 5BIB283)
Le défilé reprend par la rue Foch, la rue de la Loge et la place de la Comédie. Sous les acclamations, de Lattre salue la foule en liesse.
Rue de la Loge. Photographie publiée dans Montpellier 2 septembre 1944. Au Général de Lattre de Tassigny (Archives de Montpellier, 3DOC133)
Arrivé à l’Esplanade, de Lattre dépose une gerbe au Monument aux Morts. Ensuite, il prend place sur la tribune devant le kiosque Bosc pour assister au défilé des troupes, des groupes de résistants et des tanks de l'armée française de libération.
Dépôt de gerbes au Monument aux Morts. Photographie publiée dans Montpellier 2 septembre 1944. Au Général de Lattre de Tassigny (Archives de Montpellier, 3DOC133)
Le général accompagné de Gilbert de Chambrun (colonel Carrel) passe en revue les formations F.F.I. sur l'Esplanade. Photographie publiée dans Montpellier 2 septembre 1944. Au Général de Lattre de Tassigny (Archives de Montpellier, 3DOC133)
Après la revue des maquisards, les chars d'assaut défilent sur l'Esplanade. Photographie publiée dans La Libération de Montpellier août 1944 (Archives de Montpellier, 5BIB283)
Il regagne enfin l’hôtel du Quartier Général en traversant la place de la Comédie, dans un ultime bain de foule.
Album souvenir de la journée du 2 septembre
Photographies extraites de la brochure Montpellier 2 septembre 1944. Au Général de Lattre de Tassigny. Archives de Montpellier, 3DOC133
Les Martyrs de la Résistance
L’héroïsation des résistants tombés au combat pour la liberté apparaît aux premiers jours de la Libération. Les nouvelles autorités ont la volonté d’élever des figures emblématiques de martyrs, victimes de la barbarie, comparés au sacrifice des premiers chrétiens. Dès la première séance de la Délégation municipale, le 26 août 1944, le maire Émile Martin souhaite honorer collectivement les victimes et propose de donner à l’ancienne place de la Préfecture, rebaptisée place Maréchal-Pétain, le nom de « Place des Martyrs de la Résistance » :
Ainsi une de nos plus belles places, celle-là même qu’on avait choisie pour honorer le triste chef d’une équipe de traîtres, rappellera aux générations à venir l’héroïsme et le martyre de tous ceux qui ont su souffrir et mourir pour que survivent la France et la République (Emile Martin, Archives de Montpellier, 3 D 123).
Dans la même séance, il est décidé que la caserne des pompiers de la rue Pitot où Guizonnier commandait le Corps des Sapeurs-Pompiers, prendra le nom de Caserne Jean-Guizonnier.
Le 6 septembre, la découverte à la caserne de Lauwe des corps mutilés de Jean Guizonnier et de Raoul Batany, torturés par la Milice, provoque l’émoi de la population et assoit l’idée de martyrs. Les Montpelliérains, trois jours plus tard, leur font des obsèques solennelles, rassemblant une foule immense pour l’hommage à la Préfecture :
Unis dans un martyr commun, souffert pour le triomphe d’une cause commune, Jean Guizonnier, responsable départemental M.L.N., et Raoul Batany (M.L.N.) ont été associés dans le suprême hommage que leur a rendu samedi Montpellier (Midi Libre, 10 septembre 1944).
Découverte du corps de Jean Guizonnier à la caserne de Lauwe. Midi Libre du 7 septembre 1944. Archives départementales de l'Hérault
Dans les jours qui suivent, on fait d’autres macabres découvertes à Montpellier et dans les environs. On procède à l’identification des corps et à l’établissement des actes de décès, notamment pour les fusillés de la Madeleine, exécutés à Villeneuve-lès-Maguelone, mais transcrits dans les registres de l’état civil de Montpellier (Pierre Auriol, Louis Bonfils, Henri Garcia, Francis Gaussen, Gabriel Hispa, Raymond Migliario, Georges Pierru, Jean-Marie Pitangue, Louis Plantade, Louis Rachinel, Joseph Sauri, Aimé Sauvebois, René Sénégas, Pierre Stoll). La recension des victimes montpelliéraines est compliquée. Les autorités établissent une liste (incomplète) de 32 résistants, maquisards ou civils tués par les Allemands :
Archives de Montpellier, NC 6578
Le Monument aux Martyrs de la Résistance
Un Comité composé de représentants des associations de Résistance prend l’initiative d’ériger à Montpellier un monument en hommage aux Martyrs de la Résistance du département de l’Hérault.
En mars 1945, une maquette est présentée au Maire Emile Martin qui va faire aboutir le projet en apportant le concours financier de la Ville. Le monument sera élevé dans le jardin du Champ de Mars, à l’opposé du Monument aux Morts.
Le dessin est dû à l’architecte moderniste Marcel Bernard (1894-1981), architecte de la Ville, tandis que la sculpture est confiée à l’artiste sétois Pierre Nocca (1916-2016). La figure centrale représente un homme debout les poings liés enserré entre deux blocs de pierres. Les sculptures latérales montrent d’un côté un personnage cloué au pilori, et de l’autre, un homme portant un corps sans vie. Lors de la présentation de la maquette, la composition a été qualifiée de « symbolisme émouvant ».
Début 1948, le monument est terminé. Il reste à aménager ses abords. Les travaux trainent en longueur et ne sont achevés qu’en avril 1952, grâce à la persévérance d’Emile Martin.
Monument aux Martyrs de la Résistance. Photographie Jean-Claude Richard, 1992. Archives de Montpellier, 6S253
Plan, élévation et coupe définitif du Monument aux Martyrs de la Résistance par Marcel Bernard, février 1951. Archives de Montpellier, 5 S 5
Maquette du Monument aux Martyrs de la Résistance. Archives de Montpellier, 34 Fi 818
Figures latérales. Photographies Jean-Claude Richard, 1992. Archives de Montpellier, 6S253
Le besoin de lieux pour se souvenir de la tragédie de la guerre s’est fait croissant à mesure que les événements ont fait partie du passé des Montpelliérains. Ainsi dénombre-t-on dans la ville une quarantaine de plaques et stèles évoquant de manière personnelle ou collective la mémoire des victimes de la 2e Guerre mondiale, résistants, civils ou déportés.
Dans la séance du 5 juin 1950 du Conseil municipal, Henri Pupponi demande qu’on appose à l'embranchement entre l'avenue de Lodève et le boulevard Benjamin-Milhaud, sur le mur de clôture du Centre hydraulique, une plaque destinée à commémorer l’entrée des maquis dans Montpellier. Associé traditionnellement au maquis Bir-Hakeim, c’est le principal lieu de mémoire dédié à la libération de la ville.
Le Monument de l’avenue de Lodève en 1980. Archives de Montpellier, MO111
Dans le territoire de la Métropole, le monument aux seize résistants fusillés au stand de tir de la Madeleine par la Milice et les Allemands entre le 14 mars et le 10 juillet 1944 est le lieu de mémoire le plus important. Il se compose d’une stèle sur le site des exécutions et d’un mémorial situé à 300 mètres en contrebas de la butte du champ de tir, à proximité de la route de Sète. Seize monolithes symbolisent chacun des fusillés. L’inscription « Passant souviens-toi » nous invite à ne pas oublier les heures sombres de notre histoire.
Monument aux fusillés de la Madeleine. Photographie Jean-Claude Richard, 1992. Archives de Montpellier, 6S253