Molière
Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673), le plus célèbre comédien et dramaturge français, a séjourné par deux fois à Montpellier en 1654 et 1655.
L'auteur a laissé des traces de son passage dans la ville. Nous vous invitons à les découvrir.
Portrait de Molière par Nicolas Mignard (1658), détail. Paris, Musée Carnavalet (source Wikimedia Commons)
Molière est le fils de Jean Poquelin, marchand tapissier du quartier des Halles. A vingt ans, il décide de consacrer sa vie au théâtre. Avec la famille Béjart, il fonde la troupe de l’Illustre Théâtre en 1643, qui se transforme en compagnie itinérante à partir de 1645. Entre 1653 et 1656, il est attaché au service de Son Altesse Sérénissime le Prince de Conti, gouverneur de Languedoc et comte de Pézenas. Molière acquiert alors la réputation de « plus habile comédien de France » (Joseph de Voisin, confesseur du prince de Conti).
De retour à Paris en 1658, Molière enchaîne les succès avec des comédies matinées de satire sociale. Avec le musicien Lully, il invente pour Louis XIV la comédie ballet, spectacle total, réponse française à l’opéra italien. Comédien favori du roi, Molière est à l’apogée de son art. La fin de la collaboration avec Lully en 1672 est un coup dur dont il ne se remettra pas. Il décède l’année suivante, après une représentation du prophétique Malade imaginaire, dans sa maison rue de Richelieu, aujourd’hui Comédie Française.
Portrait de Molière par Nicolas Mignard (1658). Paris, Musée Carnavalet (source Wikimedia Commons)
Molière à Montpellier en 1654
Molière séjourne une première fois à Montpellier durant l’hiver 1653-1654, à la suite du prince de Conti. Ce dernier vient présider des états de Languedoc qui se tiennent dans la ville. Conti fait son entrée à Montpellier au son des coups de canons de la Citadelle le 10 novembre 1653. Il est accueilli par le comte d’Aubijoux, gouverneur de Montpellier et partenaire de débauche du prince. Conti réside alors chez le comte à l’hôtel de Montpeyroux, loué cette année-là par les consuls pour le logement du gouverneur. Et c’est dans cette demeure, localisée peut-être place Chabaneau, que Molière et sa troupe ont dû se produire lors des fêtes organisées dans le cadre des états de la province.
Acte de baptême de Jean-Baptiste du Jardin, 6 janvier 1654. AdM, GG 218, fol. 68v°
La mention de Jean-Baptiste Poquelin le 6 janvier 1654 comme parrain de Jean-Baptiste du Jardin dans le registre paroissial est l’unique témoignage écrit de ce séjour de Molière à Montpellier. L’acte ne porte malheureusement pas sa signature. Il est qualifié de « valet de chambre du roy ». Ce titre s’explique par l’office de « tapissier ordinaire de la maison du roi » que possède sa famille. Molière est le parrain d’un enfant de collègues comédiens, les du Jardin. Il était en effet d’usage pour les acteurs de choisir des pseudonymes champêtres. Sa commère dans l’acte, Magdeleine de L’Hermite, est également la fille d’un couple de comédiens de sa troupe, proches parents des Béjart.
Molière à Montpellier en 1655
Durant la session des états de Languedoc qui se déroule de décembre 1654 à mars 1655, Molière fait un second séjour à Montpellier. Le prince de Conti prend ses quartiers à l’hôtel de Girard, trésorier de France, rue Montpelliéret. Cet hôtel particulier, aujourd’hui disparu, se situait à l’emplacement de l’actuel musée Fabre, dans la partie de l’ancien hôtel de Massilian.
Molière crée à cette occasion avec les Béjart le Ballet des Incompatibles, joué et dansé devant le prince pour le carnaval de 1655. Ce divertissement est tellement plaisant et original qu’on en imprime le livret à Montpellier la même année. L’œuvre est anonyme, mais le nom de Molière apparaît plusieurs fois à l’intérieur. Même s’il s’agit d’une création collective, le Ballet des incompatibles est la première pièce publiée de Molière.
Le spectacle se présente comme une suite de tableaux allégoriques où se répondent des notions contraires (les 4 éléments, la vieillesse et la jeunesse, la sagesse et l’amour…). Dans une des scènes, Molière, qui « figure une harangere », c'est-à-dire qui joue une poissonnière, femme grossière et criarde, déclame un texte où il se présente de manière grotesque comme l’auteur : « Je fais d’aussi beaux vers que ceux que je récite, et souvent leur style m’excite etc. »
Page de titre du Ballet des Incompatibles. Paris, BnF (source Gallica)
Toujours dans cet esprit carnavalesque, Molière et sa troupe se mêlent à la noblesse locale pour interpréter le ballet. Ainsi, dans la dernière entrée mettant en scène six femmes face au silence, apparaissent entre autres Mesdemoiselles d’Argencour, les deux filles du célèbre ingénieur militaire montpelliérain Pierre de Conty, qui a fortifié la ville en 1622. Molière fait dire à Anne de Conty qui fondera à la fin de sa vie l’œuvre de la Miséricorde, ces paroles prémonitoires :
« Peu de beautés à nous se peuvent égaler. On ne nous saurait voir avec indifférence. »
En effet, la belle Anne Conty, connue aussi sous le nom de Mlle de la Motte-Argencourt, devint la maîtresse de plusieurs grands personnages, jusqu’au roi Louis XIV lui-même qui aurait succombé à ses charmes, dit-on.
Portrait d’Anne de Conty d’Argencour attribué à Jean de Troy, XVIIe siècle. Ville de Montpellier, Apothicairerie de la Miséricorde.
La Pijardière, découvreur des autographes de Molière
Si on connaît bien les séjours de Molière à Montpellier, c’est grâce notamment aux travaux de Louis de La Pijardière (1832-1892), archiviste du département de l’Hérault et de la Ville de Montpellier. La Pijardière fut un grand moliériste. Sous le nom de Louis Lacour, il est l’éditeur de plusieurs comédies du grand auteur. Dès son arrivée dans le département, il se met en quête de retrouver des traces de son passage en Languedoc.
Quittance autographe de Molière, décembre 1650. Archives départementales de l'Hérault, C 9060.
C’est ainsi qu’il découvre successivement en 1873 et 1886 les deux uniques billets autographes connus de l’écrivain. Ces quittances de 4000 l. (1650) et de 6000 l. (1656), sommes versées par le trésorier des Etats de Languedoc en rétribution de ses services, sont conservées aux Archives départementales de l’Hérault dans la série C. Les archives de la province signalent justement la présence d’une troupe de comédiens lors de la session des états de 1656.
La quittance de 1650 précise de manière explicite que la somme est assignée « aux comédiens ». Dans les deux cas, Molière, en tant que récipiendaire de l’argent, apparaît comme le chef de la troupe.
A la suite de ses découvertes, La Pijardière adresse un rapport à Alexandre Laissac, Maire de Montpellier, pour la pose d’une inscription commémorative du séjour de Molière à Montpellier en 1654-1655. Il propose de la placer sur la façade du Musée Fabre, rue Montpelliéret, sur les lieux où aurait été donné le Ballet des incompatibles.
Sur cette plaque de marbre, installée en 1885 à l’initiative de La Pijardière, on peut ainsi lire : « Cet édifice est construit sur l’emplacement de l’hôtel où joua Molière pendant l’hiver de 1654-1655 ». Avec la salle Molière au théâtre, c’est le seul monument dédié à la mémoire de cette illustre personnalité à Montpellier.
Plaque commémorative du séjour de Molière à Montpellier. Photo Archives.